La réglementation européenne en matière de finance durable dans son contexte
L’investissement durable est entré dans les mœurs, avec plus de 35 000 milliards de dollars alloués aux approches environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), selon le « Global Sustainable Investment Review » (2020) de la Global Sustainable Investment Alliance (GSIA)*. La tendance est sans équivoque : l’adoption des fonds ESG ne cesse de croître.
Le marché de l’investissement durable dans son contexte
Bloomberg Intelligence (2021)2 estime que le marché de l’investissement durable pourrait même atteindre 53 000 milliards de dollars d’ici 2025.
L’importance accrue des considérations ESG dans les investissements ne se limite pas au volume d’actifs que les fonds à thème ESG ont réussi à attirer, mais s’étend également aux considérations prospectives de ces investissements dans le contexte de la création de valeur à long terme.
L’actionnariat actif, dans lequel les investisseurs utilisent leurs droits et leur position d’actionnaire pour influencer le comportement des entreprises bénéficiaires3, sous-tend cette approche et incite les investisseurs à s’engager dans des trajectoires de changement positif. En effet, l’actionnariat actif est étroitement aligné sur les objectifs fixés dans les codes de gouvernance et de gérance des entreprises, et c’est précisément ce dont les groupes d’actionnaires se servent pour obliger les entreprises à renforcer leurs objectifs ESG.
Dans l’ensemble, la Global Sustainable Investment Alliance (GSIA) recense sept grandes approches ESG pour l’investissement durable, dont relève la plupart des fonds d’investissement durable : l’intégration ESG, la sélection négative, la sélection fondée sur les normes, la sélection positive et des meilleures pratiques, l’engagement des entreprises et l’action des actionnaires, l’investissement thématique durable et l’investissement à impact et communautaire.
Facteurs réglementaires et mise en œuvre du plan d’action de l’UE pour la finance durable
Parallèlement à l’intérêt croissant pour l’investissement ESG, une série de mesures réglementaires ESG a été promulguée par les régulateurs du monde entier. Selon un rapport des Principes pour l’investissement responsable (2021)4, il existe désormais plus de 750 outils politiques et cadres d’orientation dans le monde, dont 159 instruments de politique ESG nouveaux ou révisés.
En Europe, la Commission européenne a lancé le pacte vert (2020), un ensemble d’initiatives politiques ayant pour ambition de rendre l’Union européenne (UE) climatiquement neutre en 2050. Les objectifs sont les suivants :
examiner chaque loi européenne existante au regard de ses mérites climatiques,
promulguer une nouvelle législation sur l’économie circulaire, la rénovation des bâtiments, la biodiversité, l’agriculture et l’innovation et
rendre les politiques de l’UE en matière de climat, d’énergie, de transport et de fiscalité aptes à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % (« Ajustement à l’objectif 55 ») d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990.
La réglementation européenne sur la finance durable a suivi le mouvement : le plan d’action de l’UE pour la finance durable, présenté pour la première fois en 2018, a introduit une série d’ambitions majeures pour les marchés financiers, dans le droit fil de l’Accord de Paris de 2015 et du Programme de développement durable à l’horizon 2030 : « réorienter les capitaux vers l’investissement durable », « gérer les risques financiers découlant des risques ESG » et « promouvoir la transparence et le long terme dans l’activité financière et économique ».
L’une des pièces maîtresses de cette réglementation est le règlement de l’UE sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR UE, 2019/2088/UE), un ensemble de règles visant à révéler le profil de durabilité des produits d’investissement. Le règlement introduit trois concepts clés :
1. « investissement durable », 2. « risque en matière de durabilité » et 3. « facteurs de durabilité », qui sont définis comme suit :
L’investissement durable est un investissement dans une activité économique qui (i) contribue à un objectif environnemental ou social, (ii) ne cause de préjudice important à aucun de ces objectifs environnementaux ou sociaux et (iii) dans laquelle la société bénéficiaire de l’investissement applique des pratiques de bonne gouvernance.
Le risque en matière de durabilité est un événement ou une situation dans le domaine environnemental, social ou de la gouvernance qui, s’il survient, pourrait avoir une incidence négative importante sur la valeur d’un investissement.
Les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité sont l’impact de l’investissement lorsqu’on considère les questions environnementales, sociales et de personnel, le respect des droits de l’homme et la lutte contre la corruption.
Le SFDR utilise un système de classification à « trois piliers » tel que défini par (1) l’article 6 (« néant »), (2) l’article 8 (« vert clair ») et (3) l’article 9 (« vert foncé »). La divulgation des « risques en matière de durabilité » et des « principales incidences négatives », selon le règlement européen SFDR, se fera au moyen d’une liste de paramètres prédéfinis permettant d’évaluer les résultats environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) d’un processus d’investissement.
Le SFDR va de pair avec le plan d’action de l’UE pour la finance durable, ainsi qu’avec les réglementations existantes en matière de finance durable, telles que MiFID II (préférences des clients en matière de durabilité) et la taxonomie verte (et bientôt sociale) de l’UE, dès lors que les évaluations des risques et des principales incidences négatives et les principes généraux tels que celui consistant à « ne pas causer de préjudice important » sont en jeu. L’ambition est avant tout d’harmoniser davantage, de normaliser et d’améliorer les normes d’information financière pour les entrepriseset les investisseurs au regard des cadres, des paramètres et des classifications ESG. Cela étant, de nombreux défis restent à relever, notamment en ce qui concerne les différences entre les réglementations européennes et les réglementations locales dans le domaine de l’information financière, les délais de mise en œuvre de tous les éléments réglementaires et les engagements en matière d’information conformément à la taxonomie européenne, tant du côté des entreprises que du côté des investisseurs. Et il règne toujours une « confusion globale »5 lorsqu’il s’agit de comparer les différentes méthodologies de recherche et de notation ESG, qui suivent toutes des approches distinctes en termes de « portée », de « mesures » et de « pondérations ».
Au vu du récent rapport de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) sur les « fournisseurs de produits de notation et de données ESG » (2021)6 et de l’annonce faite par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) pour lutter contre l’écoblanchiment et promouvoir la transparence des notations ESG7, on peut espérer que tous ces efforts conjugués aboutiront enfin à plus de clarté, de comparabilité et de cohérence autour des convictions, des témoignages et des définitions ESG sur toute la chaîne de valeur de l’investissement.
Martina Macpherson, Global Head ESG Product Management, Six Group
* Global Sustainable Investment Alliance, Global Sustainable Investment Review, 2020.
2 Bloomberg Intelligence, « ESG Assets May Hit $53 Trillion by 2025, a Third of Global AUM », 23 février 2021.
3 « Guide pratique pour l’actionnariat actif dans les sociétés cotées », Principes pour l’investissement responsable (PRI) de l’ONU, 2018.
4 PRI, Regulation Database, lien : www.unpri.org /policy/regulation-database.
5 MIT Sloan Business School, « The Aggregate Confusion », mai 2019.
6Organisation internationale des commissions de valeurs, « Environmental, Social and Governance (ESG) Ratings and Data Products Providers », rapport final, novembre 2021.
7Autorité européenne des marchés financiers, Feuille de route sur la finance durable, 10 février 2022.