Régime Pilote européen : une réglementation expérimentale au service de l’innovation

27/05/2022

"Ce Régime Pilote européen apparaît comme une superbe opportunité pour repenser, simplifier et optimiser la gestion des opérations de marché" - Alain Rocher, Head of Knowledge Management, SGSS.

Une première en Europe pour concilier expérimentation et réglementation

Début 2023, l’Europe devrait officiellement lancer une grande expérimentation pour tester sur les marchés financiers la technologie de la blockchain et du registre distribué (dit DLT, pour Distributed Ledger Technology), technologie qui avait vu le jour avec le désormais célèbre et parfois controversé Bitcoin. Outre la très forte volatilité de son cours, ce dernier présente en effet l’extrême singularité de ne pas avoir d’émetteur identifiable et de pouvoir malgré tout se passer d’intermédiaire pour valider les échanges et transferts de propriété de ce nouvel actif digital.

Cette expérimentation, appelée Régime Pilote, devrait durer au minimum 3 ans (renouvelable 1 fois) et permettre aux autorités européennes en charge de la réglementation des marchés de mieux appréhender les avantages supposés de cette nouvelle technologie mais aussi et surtout les remises en cause potentielles des réglementations et infrastructures existantes. La protection des investisseurs et l’intégrité des marchés étant jusqu’à présent basées sur la réglementation des émetteurs et des intermédiaires, l’absence potentielle des uns et des autres constitue de fait un énorme défi pour les autorités de marché.

Il convient toutefois de rappeler que le Régime Pilote n’a pas vocation à traiter du Bitcoin et autres crypto-devises qui relèvent en effet de la réglementation MICA1, mais uniquement des instruments financiers tels que définis par la réglementation MIF2 et donc censés disposer d’un émetteur. Il conviendra donc de s’entendre en premier lieu sur le rôle et la responsabilité de l’émetteur lorsque ce dernier décide de déposer ses titres dans une blockchain. Il convient également de rappeler que le Régime Pilote s’intéresse essentiellement aux titres financiers cotés puisque seuls leurs émetteurs ont actuellement l’obligation réglementaire de déposer leurs titres chez un CSD3, les émetteurs de titres non cotés restant eux pleinement responsables de la tenue de compte émission de leurs titres et donc pleinement libres du choix de la technologie sous-jacente.

Registre distribué VS registre centralisé (centralised ledger) : un changement total de paradigme

Le texte de niveau 1 du Régime Pilote s’est principalement attaché à réduire les risques de l’expérimentation en limitant d’une part le volume des émissions qui seront tokenisées et d’autre part en exigeant des participants la mise en place d’une « exit strategy » qui consiste à pouvoir mettre fin à l’expérimentation en cas d’insuccès. L’autre fait marquant du Régime Pilote est d’avoir introduit le concept de DLT SS (« SS » pour Settlement System) et non celui de DLT CSD. C’est effectivement important car si le CSD est également un opérateur de SS, il assure en plus une fonction notariale en centralisant la tenue de compte émission des titres cotés. En reconnaissant que ces deux fonctions du CSD peuvent désormais être dissociées dans un registre distribué, le législateur remet implicitement en cause le transfert systématique de la tenue de compte émission des titres cotés vers un tiers de confiance de type infrastructure de marché.

Si le Régime Pilote semble remettre en cause le bien-fondé de certaines contraintes d’intermédiation imposées par la réglementation actuelle, il n’évoque à aucun moment les autres types d’intermédiation à savoir celles qui sont librement choisies par les acteurs des Marchés. Dans son récent guide sur la DLT, l’AFTI, l’Association Française des professionnels des Titres, a également abordé le sujet de la désintermédiation dans les activités de Post-Marché. Selon son analyse, ce serait bien les intermédiaires imposés par la réglementation actuelle qui seraient principalement impactés par la nouvelle technologie, à savoir le CSD mais aussi les conservateurs. Ces intermédiaires imposés pour sécuriser le transfert de propriété des titres cotés ont deux rôles essentiels : « centraliser » la tenue de compte (registré centralisé) pour les émetteurs ou pour les investisseurs ; et opérer un système de règlement/livraison, le premier rôle apparaissant jusqu’à présent comme une condition sine qua none à l’exercice du second, les deux permettant ensuite à ces intermédiaires de proposer toute une large gamme de prestations à valeur ajoutée (fiscalité, reporting, Opérations sur Titres, collatéral…).

Selon le guide, le passage d’une logique de « Centralised Ledger » à une logique de « Distributed Ledger » devrait permettre de mieux sécuriser la tenue de compte émission et ainsi permettre à l’émetteur de pouvoir conserver le cas échéant la responsabilité de la tenue de compte émission des titres cotés à l’instar donc de la tenue de compte émission des titres non cotés. Il serait alors possible en théorie d’avoir dans un registre distribué un seul régime juridique pour tous les titres financiers qu’ils soient cotés ou non cotés.

Les atouts de la France pour briguer la « pple position » du Régime Pilote

Ce régime unique apparaît de fait très proche du modèle français des titres « essentiellement nominatifs » qui permet déjà d’avoir une seule forme de titres, à savoir la forme dite Nominative, pour les titres cotés et non cotés. Dans ce modèle, c’est bien l’émetteur des titres et non le CSD qui est réputé responsable de la tenue de compte émission et de la conservation des titres nominatifs. Pour ces titres, le CSD doit seulement assurer un rôle d’opérateur de Settlement System (SS) à l’image donc de ce qu’a prévu le Régime Pilote avec son DLT SS. Si ce régime des titres essentiellement nominatifs n’a pas connu un énorme succès en France jusqu’à présent, c’est principalement pour des raisons liées aux contraintes de la technologie actuelle. Le recours au Distributed Ledger pourrait alors complétement changer la donne jusqu’à rendre obsolète la dichotomie actuelle entre titres au porteur et titres nominatifs. Les titres nominatifs enregistrés dans un Distributed Ledger pourraient en effet cumuler les avantages actuels des titres nominatifs (connaissance des investisseurs par l’émetteur) et des titres au porteur (facilité du Règlement/Livraison) sans aucun surcoût pour les participants et au contraire des réductions probables des coûts actuels. Quant aux CSD et aux conservateurs, ils continueraient à assurer le rôle qu’ils assurent actuellement pour ces titres nominatifs côtés, à savoir opérateur d’un SS pour le CSD et prestation d’administration (« Nominatif Administré ») pour les conservateurs en continuant bien sûr de proposer tous les services à valeur ajoutée évoqués précédemment.

Au final, ce Régime Pilote européen apparaît comme une superbe opportunité pour repenser, simplifier et optimiser la gestion des opérations de marché et notamment toute la partie relative au Post-Marché. Il apparaît aussi que la Place française semble particulièrement bien placée pour tirer le meilleur parti de cette expérimentation. D’abord parce que son modèle actuel semble pouvoir converger assez facilement vers celui du Régime Pilote, mais aussi parce qu’elle s’est intéressée très tôt au sujet ce qui permis à certains acteurs français d’acquérir une réelle expertise qu’ils devraient pouvoir valoriser lors des expérimentations du Régime Pilote.

Réglementation sur les marchés des crypto-actifs
2 Réglementation sur les Marchés d’Instruments Financiers

3 Dépositaire central de titres

Régime Pilote

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