Plan d’action de l’UE sur la finance durable
En déployant le cadre réglementaire le plus ambitieux au monde, afin de soutenir le Pacte vert pour l’Europe, l’Union européenne a-t-elle atteint ses objectifs ? Compte tenu de la crise climatique, des inégalités sociales et de l’instabilité géopolitique qui transforment notre monde, les institutions financières peuvent jouer un rôle clé.
Grâce à son Plan d’action européen pour la finance durable, l’Union européenne dispose désormais du cadre réglementaire le plus vaste et le plus avancé au monde. Les enjeux réglementaires liés à la finance durable, avec les espoirs qu’ils suscitent et les passions qu’ils cristallisent, ont été, en 2022, un sujet de première importance pour la plupart des institutions financières.
Pour juger si l’année 2022 a enregistré des progrès concrets dans la transition vers la finance durable, ou si l’ensemble des travaux entrepris et des discours ne sont, en réalité, rien de plus qu’une opération de greenwashing, il convient de se pencher sur les ambitions initiales et les premiers résultats obtenus.
Plan d’action de l’UE sur la finance durable : un projet ambitieux
Lorsque l’Union européenne a lancé son plan d’action en 2018, son ambition était de réorienter les flux de capitaux vers des investissements durables, afin d’atteindre une croissance durable et inclusive, de gérer les risques financiers liés au changement climatique, aux catastrophes naturelles, à la dégradation de l’environnement et aux questions sociales, et de favoriser la transparence et une approche à long terme de l’activité financière et économique.
Comme l’a rappelé le commissaire Mairead McGuinness de la Commission européenne lors de l’audition tenue par les groupes économiques et environnementaux du Parlement européen le 5 décembre : « Nous ne voulons pas dissocier l’économie de l’environnement et nous voulons une réglementation qui soit utilisée à bon escient par les professionnels tout en poussant la finance durable à s’aligner sur le Pacte vert européen ».
Pour atteindre ces objectifs, l’Union européenne a adopté un ensemble complet de lois, de règlements et d’amendements de la législation existante. Ces dernières années, nous avons assisté à une surenchère de termes et d’acronymes, que seuls les responsables de processus comprennent... SFDR1, CSRD2, NFRD3, ESRS4, MiFID5, DDA6, PAI7, EBA PILIER III8, CBR9, GBS10, SDR11 et bien d’autres.
Ce cadre législatif, à première vue complexe, témoigne avant tout de la complexité du sujet et du haut niveau d’expertise nécessaire pour traiter ces questions. Et comme n’importe quel sujet théorique compliqué, sa mise en œuvre opérationnelle en 2022 a rencontré des obstacles de taille.
En effet, l’année 2022 n’a pas été facile pour les acteurs des marchés financiers qui cherchaient à respecter les nouvelles exigences du régulateur. Des problèmes de calendrier se sont posés, notamment pour la taxonomie européenne12, au titre de laquelle les acteurs des marchés financiers ont dû publier un pourcentage d’alignement sur la taxonomie des entreprises dans lesquelles ils ont investi, alors que les entreprises n’auront l’obligation de fournir ces informations que l’année prochaine. Par ailleurs, il y a eu méprise sur la substance, puisque le régulateur n’avait pas prévu que ces articles 8 et 913 pourraient être perçus comme une sorte de label que les gestionnaires souhaitent obtenir, ou qu’ils seraient interprétés différemment d’un régulateur national à l’autre.
Un chemin semé d’embûches
Un autre défi majeur est la difficulté à définir un Investissement durable14, comme l’exige le règlement SFDR, pour lequel il existe de multiples interprétations, même si les normes techniques exigent que les fonds relevant de l’article 9 soient composés à « 100 % d’investissements durables ». Si bien qu’aujourd’hui, il semble y avoir au moins autant de définitions du concept d’investissement durable que d’acteurs des marchés financiers dans l’Union européenne. Il appartient alors à l’investisseur final (ou à son gestionnaire de patrimoine) de calculer le pourcentage d’investissement durable, selon une méthode qui varie d’une institution à l’autre.
Plus inquiétant, il semble que l’enthousiasme initial ait, au fur et à mesure que des clarifications et des réponses ont été apportées, fait place à une certaine prudence qui pourrait in fine faire douter de la capacité de ce cadre réglementaire à être réellement applicable. À titre d’exemple, on peut citer le chiffre de 94 %15 des fonds visés par les articles 8 et 9 indiquant 0 % d’alignement sur la taxonomie ou les récents déclassements des fonds de l’article 9 vers l’article 8 par les grandes sociétés de gestion d’actifs. En effet, des fonds ESG représentant des milliards de dollars d’encours ont été déclassés, ajoutant au sentiment de désarroi qui s’empare de l’industrie européenne de la gestion d’actifs, une preuve tangible de l’inapplicabilité de la réglementation, même pour les grands acteurs normalement les mieux qualifiés pour résoudre ce type de problème.
Enfin, la dernière enquête publiée par un consortium de journalistes le 29 novembre 2022 jette un doute sur la probité du secteur. Intitulée « The Great Green Investment Investigation », elle confronte les pratiques des gestionnaires d’actifs à la réalité de leurs portefeuilles : certains fonds, bien qu’engagés envers des thématiques dites « durables », investissent dans des secteurs à forte intensité carbone ou dans des entreprises impliquées dans des controverses très graves.
Alors, l’Union européenne a-t-elle échoué dans sa mission ?
C’est ce que l’on pourrait penser à première vue, mais ce n’est peut-être pas le cas... En effet, un objectif climatique clair n’empêchera jamais une controverse sociale ; un engagement social fort ne permettra jamais à un produit ou service de devenir non polluant, et la diversité des facettes de la durabilité générera toujours une certaine méfiance des épargnants.
Peut-être devrions-nous regarder la réalité en face : il est compliqué de construire des portefeuilles durables dans un monde qui ne l’est pas. Même avec la meilleure volonté du monde.
Cependant, de nombreux objectifs ont été atteints : les questions ESG et climatiques, inconnues de la plupart des gérants d’actifs il y a quelques années encore, s’imposent progressivement comme un thème courant. Le niveau moyen de connaissance des investisseurs a considérablement augmenté ces dernières années, ce qui peut rassurer sur le fait que le système financier est mieux à même d’atténuer les risques liés au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité. En outre, tout changement majeur de paradigme prend du temps : il était nécessaire de passer par ces étapes pour faire mûrir le marché des produits ESG et climatiques, et ainsi le faire avancer. De plus, bien que la réglementation soit complexe à appliquer, elle est encore en construction et sera donc amenée à s’améliorer au fil du temps, avec l’émergence de nombreuses normes dans les années à venir. Enfin, les investisseurs finaux sont désormais de plus en plus conscients que leur argent a le pouvoir de transformer le monde.
Alors, le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? C’est à vous de décider !
Olivia Blanchard, Founder and President, Acteurs de la Finance Responsable
1Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers
2Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises
3Directive sur la publication d’informations non financières
4Normes européennes d’information en matière de durabilité
5Directive sur les marchés d’instruments financiers
6Directive sur la distribution d’assurances
7Principales incidences négatives
8 Autorité bancaire européenne, Pilier 3
9Reporting des banques centrales
10Global Biodiversity Score
11Exigences de publication d’informations sur la durabilité
12La taxonomie européenne désigne un système de classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l’environnement. Son objectif est d’orienter les investissements vers des activités « vertes ».
13 Le règlement SFDR impose aux institutions financières qui prétendent gérer des fonds durables de classer leurs fonds ESG selon qu’ils relèvent des articles 8 et 9, en fonction de leurs caractéristiques, et énonce les obligations de reporting qui y sont associées.
14 L’article 2 (17) du règlement SFDR définit l’« investissement durable » comme suit : « … un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental, mesuré par exemple au moyen d’indicateurs clés en matière d’utilisation efficace des ressources concernant l’utilisation d’énergie, d’énergies renouvelables, de matières premières, d’eau et de terres, en matière de production de déchets et d’émissions de gaz à effet de serre ou en matière d’effets sur la biodiversité et l’économie circulaire, ou un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif social, en particulier un investissement qui contribue à la lutte contre les inégalités ou qui favorise la cohésion sociale, l’intégration sociale et les relations de travail, ou un investissement dans le capital humain ou des communautés économiquement ou socialement défavorisées, pour autant que ces investissements ne causent de préjudice important à aucun de ces objectifs et que les sociétés dans lesquels les investissements sont réalisés appliquent des pratiques de bonne gouvernance, en particulier en ce qui concerne des structures de gestion saines, les relations avec le personnel, la rémunération du personnel compétent et le respect des obligations fiscales. »
15Source : En septembre 2022, FE fundinfo