Les orientations politiques peuvent contribuer à améliorer les pratiques du marché en matière d’ESG pour soutenir le développement durable
Les opinions exprimées et les arguments utilisés dans le présent document sont uniquement ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les opinions de l’OCDE ou de ses pays membres.
Progrès
Au cours de la dernière décennie, l’utilisation d’approches axées sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance pour évaluer les risques et les opportunités d’investissement, et guider les décisions de sélection d’actifs, a dominé la finance durable. En 2021, la valeur des actifs sous gestion dans les portefeuilles influencés par les approches d’investissement ESG, telles que l’intégration ESG, a dépassé 40 000 milliards de dollars, selon certaines mesures1. Parallèlement, les places boursières des économies avancées et émergentes préconisent de plus en plus la publication d’informations sur les facteurs ESG, et plus de 80 % de la capitalisation boursière des entreprises cotées en bourse ont obtenu un score ESG de la part d’au moins un fournisseur important de notation ESG. Les pratiques ESG se sont développées sur l’ensemble des marchés pour plusieurs raisons, notamment la demande des investisseurs finaux et d’autres parties prenantes qui cherchent à mieux comprendre comment les entreprises et les institutions financières gèrent l’impact environnemental et social. Cette évolution est particulièrement marquée compte tenu des inquiétudes liées à l’augmentation des risques physiques et de transition climatiques, et des effets dévastateurs de la Covid-19 sur le personnel. Parallèlement, les entreprises et les investisseurs institutionnels adoptent largement l’intégration ESG comme une approche permettant d’intégrer des facteurs prospectifs à moyen terme dans l’évaluation des risques et des opportunités pour préserver la valeur d’entreprise à long terme. Ce progrès, dont on se félicite, est dû en grande partie à des initiatives du marché et à l’évolution de la demande des clients.
Enjeux
Bien que les acteurs des marchés financiers adoptent de plus en plus les approches de finance durable, un certain nombre d’obstacles empêchent encore une allocation efficace du capital pour soutenir les objectifs de durabilité, y compris la gestion des risques physiques et de transition climatiques2. Ces obstacles comprennent une transparence et une comparabilité limitées des méthodes et des indicateurs ESG. En particulier, les types d’indicateurs utilisés, leur nombre et leur pondération varient énormément, et peuvent conduire une même entreprise à obtenir la meilleure note ESG d’une agence de notation et la note la plus basse d’une autre agence. L’analyse de l’OCDE a révélé que, dans l’ensemble, cela s’est traduit par une faible concordance des notations des émetteurs attribuées par les principaux fournisseurs de notation ESG et soulève des questions sur la signification et l’utilité de ces notations pour les investisseurs3. Dans ce contexte, les fonds ESG bien notés sur la base des scores ESG des investissements sous-jacents n’ont pas surperformé les fonds ayant une note ESG médiocre au cours des cinq dernières années. En outre, notre évaluation a révélé une distorsion, dans la mesure où les grandes capitalisations boursières étaient plus susceptibles d’obtenir des scores ESG supérieurs, contrairement aux petites entreprises, pour lesquelles la probabilité de se voir attribuer une note ESG élevée était plus faible, toutes choses étant égales par ailleurs. Sachant que les très grandes entreprises disposent de plus de ressources pour investir dans des évaluations et des communications axées sur les critères ESG, ce constat suggère que les places boursières et les autorités financières devraient s’efforcer de soutenir le développement des capacités ESG parmi les petites et moyennes entreprises afin de faciliter le reporting ESG. Cet effort pourrait inclure des conseils sur la manière d’utiliser des indicateurs plus faciles d’accès ou moins complexes à calculer, ce qui pourrait améliorer le reporting actif, la qualité des indicateurs et les notations ESG, et de ce fait augmenter l’efficience du marché.
Le score du pilier environnemental des notations ESG apporte un éclairage sur ce qu’il peut et ne peut pas apporter pour soutenir les décisions d’investissement. Certes, la notation et le reporting ESG ont le potentiel de révéler une quantité importante d’informations sur la gestion et la résilience des entreprises en ce qui concerne les risques environnementaux et physiques liés au climat, et sur leur approche de la gestion des risques, y compris les indicateurs mesurant la sensibilisation à l’environnement, la gouvernance et la protection de la biodiversité. Pourtant, les recherches de l’OCDE montrent que les scores sur le pilier environnemental attribués par les principaux fournisseurs de notations ESG ne sont souvent pas corrélés avec des niveaux plus faibles d’émissions globales de gaz à effet de serre ou d’intensité carbone4. En effet, pour certains fournisseurs de notations ESG, les scores élevés sur le pilier environnemental sont souvent associés à des émissions de carbone absolues plus importantes. En outre, une analyse comparative de ces scores avec les données sur la transition climatique des fournisseurs de cadres de transition indique que les entreprises les mieux notées sur l’aspect « E » sont plus susceptibles de prendre en compte les risques environnementaux et de communiquer les politiques visant à atténuer ces risques. En revanche, il existe peu d’indications de progrès en matière de réduction des émissions ou de l’intensité carbone5. À cet égard, ces résultats suggèrent que les scores sur l’aspect environnemental ne sont pas nécessairement utiles pour les investisseurs qui cherchent à mieux faire coïncider leurs portefeuilles avec une économie sobre en carbone, et peuvent souhaiter combiner les notations ESG avec d’autres outils pour évaluer plus efficacement l’alignement de leurs portefeuilles avec l’Accord de Paris.
Orientations politiques visant à améliorer la communication d’informations et les pratiques du marché
Compte tenu du manque d’homogénéité des données et indicateurs ESG utilisés sur les marchés, des politiques sont envisagées pour favoriser la comparabilité et l’interprétation des approches ESG à l’échelle mondiale, ainsi que pour renforcer les méthodes qui sous-tendent la publication d’informations, les notations et les valorisations sur les marchés financiers liées aux facteurs ESG contribuant à la valeur d’entreprise et aux objectifs de durabilité sur le long terme.
À cette fin, un certain nombre de progrès sont réalisés dans les instances internationales en matière de publication d’informations, d’approches de notation et d’intégrité des produits du marché labellisés ESG. Le rapport de l’OICV6 sur les notations environnementales, sociales et de gouvernance et les fournisseurs de données formule des recommandations aux régulateurs des marchés de valeurs mobilières ainsi qu’aux fournisseurs de notations et de données ESG, aux utilisateurs de notations et de données ESG, quant à la prise en compte de divers facteurs pour la fourniture de notations et de produits de données de haute qualité, y compris des sources de données publiques, des méthodologies définies et des niveaux élevés de transparence7. De même, suite à une recommandation du G20, lors de la COP26, les Trustees de la Fondation IFRS8 ont annoncé la création de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) afin de fournir un cadre mondial pour la publication d’informations en matière de durabilité permettant de répondre aux besoins des marchés de capitaux, et ont préparé un exposé-sondage sur la publication d’informations relatives au climat, qui devrait être mis en œuvre en 2023. Des efforts sont déployés par les autorités financières et les organismes de réglementation pour renforcer les principes et les taxonomies, selon les juridictions, afin d’améliorer l’intégrité du marché en matière de labellisation et de fonctionnement des produits négociés, tels que les fonds et les ETF ayant les labels « vert » et « climatique »9.
Parallèlement, l’OCDE a élaboré en 2022 des orientations politiques sur les pratiques de marché en matière d’investissement ESG et de financement de la transition climatique10. Il s’agit d’une approche fondée sur des principes qui s’adressent aux décideurs politiques et aux acteurs du marché, des autorités financières aux fournisseurs de notations ESG et gestionnaires d’actifs. En particulier, les recommandations encouragent les décideurs à s’engager volontairement en faveur de l’amélioration des pratiques en matière d’investissement ESG et de transition climatique, notamment par l’élaboration d’informations, d’indicateurs, de notations, d’objectifs et de cadres de haute qualité.
Les recommandations de l’OCDE en matière d’ESG visent à améliorer la transparence et la crédibilité des méthodes de notation ESG et à promouvoir l’intégrité des marchés. Ces recommandations encouragent la comparabilité et la qualité des indicateurs et des approches ESG à l’échelle mondiale, notamment par la publication d’informations obligatoires, et la transparence des méthodes de notation ESG afin de clarifier et de renforcer l’alignement de la visée générale de chacun des piliers ESG avec les objectifs de valeur et de durabilité à long terme. De plus, les décideurs politiques, les autorités financières, les banques centrales et les autres autorités compétentes devraient favoriser la transparence et la comparabilité des facteurs liés au climat dans le pilier environnemental des notations ESG, et encourager une meilleure qualité et intégrité des indicateurs utilisés par les fournisseurs de notation ESG pour atteindre les objectifs liés au climat. Ils devraient également renforcer la disponibilité et l’utilisation de données fiables, comparables et de grande qualité pour évaluer les risques et les opportunités climatiques conformément à des normes de référence mondiales. En outre, les décideurs peuvent envisager des moyens d’accroître la qualité des données relatives au climat utilisées par les acteurs du marché, ainsi que définir des obligations de publication d’informations et d’améliorer les plans de transition climatique. Point important, ces orientations préconisent la fixation d’objectifs scientifiques intermédiaires de zéro émission nette pour que les plans de transition et les documents y afférents soient suffisamment crédibles pour permettre aux marchés d’allouer efficacement le capital et pour gérer les risques liés au climat. Dans ce contexte, l’efficacité et l’intégrité du marché sont essentielles pour assurer que le capital est effectivement alloué de manière à soutenir les objectifs de développement durable et la transition vers une économie sobre en carbone, et pour préserver la stabilité financière, tout en protégeant la valeur d’entreprise à long terme.
Les recommandations de l’OCDE sur les pratiques de marché en matière d’investissement ESG et sur le financement d’une transition climatique sont complétées par des orientations politiques de l’OCDE sur les plans de transition des entreprises, afin d’améliorer la crédibilité de l’intégrité environnementale dans les trajectoires et les objectifs intermédiaires. Ces recommandations politiques à l’intention des marchés et des entreprises ont été regroupées dans le Rapport sur la finance durable 2022 du G20 qui contient des recommandations visant à développer le financement de la transition et à soutenir des plans de transition crédibles dans le secteur financier11. Néanmoins, des efforts supplémentaires sont nécessaires tant au niveau mondial qu’au niveau national pour transformer les orientations en matière de reporting, de notations ESG et de produits de finance durable en bonnes pratiques et, le cas échéant, en réglementation du marché pour veiller à ce que la poursuite de l’expansion de la finance durable repose sur la transparence, la confiance des investisseurs et l’intégrité du marché.
Robert Patalano*, Conseiller senior, Direction des affaires financières et des entreprises, OCDE
*L’auteur tient à remercier Catriona Marshall, Riccardo Boffo et Giulio Mazzone pour leurs contributions.
1Global Sustainable Investment Alliance (2021), « 2020 Global Sustainable Investment Review ».
2Voir OCDE (2021), ESG Investing and Climate Transition: Market Practices, Issues and Policy Considerations, OCDE Paris.
3Boffo, R., et R. Patalano (2020), « ESG Investing : Practices, Progress and Challenges », OCDE Paris.
4Boffo, R., C. Marshall et R. Patalano (2020), « ESG Investing : Environmental Pillar Scoring and Reporting », OCDE Paris.
5OCDE (2022), « ESG ratings and climate transition: An assessment of the alignment of E pillar scores and metrics ».
6Organisation internationale des commissions de valeurs
7OICV (2021), « Environmental, Social and Governance (ESG) Ratings and Data Products Providers ». Rapport final.
8International Financial Reporting Standards (normes internationales d’information financière)
9Exchange Traded Funds ou fonds indiciels cotés
10OCDE (2022), Policy guidance on market practices to strengthen ESG investing and finance a climate transition, OECD Business and Finance Policy Papers, OECD Publishing, Paris.
11G20 (2022), « 2022 G20 Sustainable Finance Report », Groupe de travail sur la finance durable.