Innovation et services financiers : une année 2023 riche de promesses
A l’heure où la page 2023 se tourne pour s’ouvrir sur 2024, il convient de faire une pause pour dresser le bilan d’une année qui a été décisive en matière d’innovations dans le secteur des services financiers.
Pour autant, les réalisations concrètes restent encore peu nombreuses, et nous attendons avec une certaine impatience qu’elles se matérialisent en 2024. Voyons ensemble les éléments marquants qui ont jalonné 2023 :
La diffusion tous azimuts de l’Intelligence Artificielle, qui s’est appuyée sur la dynamique ChatGPT,
Une nouvelle vague de l’exploitation de la donnée à grande échelle, avec des usages nouveaux autour de l’ESG1,
Le développement de nouvelles applications, mobiles ou proposant à l’utilisateur une expérience digitale de nouvelle génération,
Les difficultés de la Blockchain à s’imposer dans le secteur financier, même si de nouvelles réglementations et quelques belles innovations marquent une tendance de fond.
Le raz-de-marée ChatGPT, un arbre qui cache une forêt dense en promesses ou en désillusions ?
Rares sont les moments où l’industrie financière a connu un tel déluge d’articles, de conférences ou d’annonces sur un même thème. Cela a été le cas il y a une vingtaine d’années avec Internet, puis dans une moindre mesure avec les applications mobiles, puis les réseaux sociaux. Mais 2023 restera à jamais l’année du tournant majeur pour l’Intelligence Artificielle. Pourtant, ce domaine d’innovation fait figure de dinosaure depuis ses prémisses dans les années 1950, bien qu’il ait toujours eu beaucoup de difficultés à dépasser les laboratoires universitaires pour s’imposer dans notre vie de tous les jours. Les vagues qui se sont succédé ont porté sur l’automatisation de tâches (les RPA2 de 3e génération), la compréhension et la gestion du langage (avec les traducteurs automatiques, par exemple, puis la transformation de voix en texte et vice-versa), et plus récemment la mise au point de modèles financiers à base d’algorithmes et d’entrepôts de données à grande échelle. Les premiers conseillers virtuels (sous forme de robo-advisors) ont pourtant peiné à montrer leur efficacité, et sont souvent restés limités à des domaines restreints d’actifs et de solutions concrètes. Surtout, les modèles prédictifs se sont souvent heurtés à des marchés ne reproduisant pas complètement les cycles du passé. Enfin, les outils de traitement du langage (chatbot ou agent virtuel) ont toujours eu du mal à apporter un retour sur investissement suffisant à ceux qui s’y sont lancés.
Aujourd’hui, les technologies s’appuient sur l’IA générative, une nouvelle famille d’applications capable de créer automatiquement du contenu (texte, images, code informatique) en s’appuyant sur des données quasi-illimitées. Cela offre aussi des capacités accrues de traitement du langage naturel (NLG, ou Natural Language Generation) pour comprendre et interpréter les demandes les plus simples ou les plus évoluées (ce que l’on appelle le « prompting »). Enfin et surtout, l’IA générative est capable de s’appuyer sur des algorithmes d’apprentissage et des modèles complexes, issus de l’utilisation de réseaux neuronaux (le Deep Leaning). De fait, les applications sont multiples, mais il est nécessaire de faire la part des choses entre le rêve et la réalité :
Le rêve, c’est effectivement la capacité de l’IA générative à répondre à des questions simples, avec des réponses intelligibles, s’appuyant sur une documentation large, bien plus puissante que les liens apportés par les moteurs de recherche qui vont bientôt être largement dépassés ;
Le rêve, c’est aussi la capacité de tout-un-chacun de compléter les outils bureautiques classiques (comme la suite Office de Microsoft) par des « copilotes » capable de créer en un temps record les plus belles présentations ou les synthèses les plus claires sur un ensemble de données disparates, aidant ainsi les gérants à apporter la lumière sur leur activité, ou à réconcilier des données éparses issues d’univers hétérogènes.
La réalité, c’est que cela s’appuie toujours sur des données initiales qui doivent être de qualité, à la fois par leur consistance et par leur fréquence de rafraichissement, afin d’éviter les biais cognitifs. Or, la qualité des données est vite apparue comme l’obstacle majeur de ces nouveaux outils. Dans une étude récente de Salesforce3, seul un tiers des entreprises se dit totalement confiant dans la fiabilité de leurs données, soulignant les défis persistants pour exploiter pleinement leur potentiel. 69 % des décideurs en France s’inquièteraient ainsi de ne pas pouvoir profiter des bénéfices que procure l’IA générative.
La réalité, c’est aussi le temps nécessaire pour valider les modèles, qui nécessitera encore pendant longtemps une présence humaine dans leur mise au point, et ceci afin de repousser les limites du remplacement total de l’homme par la machine.
La réalité, c’est aussi que ces technologies nécessitent de maitriser la capacité à en expliquer le raisonnement (le système devant décrire comment il arrive à telle ou telle conclusion) voire à introduire des règles éthiques dans l’usage et la conception de l’IA générative. De ce point de vue, on peut saluer le mérite du Parlement Européen d’avoir obtenu rapidement un consensus autour de l’IA Act, qui devra cependant prouver sa capacité à être applicable, comme le RGPD a su le faire pour le respect des données personnelles.
Alors que retiendra-t-on ? Le gain de temps obtenu par l’usage de l’IA générative, l’émergence de métiers « augmentés » capables de traiter plus rapidement une information toujours plus complexe (juristes, auditeurs, analystes financiers et gérants) mais aussi la simplification de travaux comme le développement informatique et la création d’images, qui permettent à certains établissements d’annoncer déjà de nouveaux revenus issus de l’usage de l’IA. Mais cela doit s’accompagner aussi d’une montée en compétences des équipes, qui nécessitera un effort aux plus petites structures.
Une nouvelle vague de traitement de données à grande échelle, notamment pour favoriser l’avènement de l’ESG
Au-delà de l’IA générative, c’est bien l’univers de la Data qui s’impose encore plus dans notre industrie. Ce n’est pas un phénomène nouveau ou étonnant, mais ce qui change est le besoin de données nouvelles, comme l’a démontré la production de nouveaux rapports sur l’ESG (article 8 au sens de la règlementation SFDR4) qui nécessitent la collecte de données extra-financières5.
Notre industrie doit donc faire coexister un besoin accru de données, qui permettent à de nouveaux acteurs6 d’émerger dans le paysage de la finance pour les fournir, et un besoin d’efficacité pour apporter la bonne donnée au bon moment, afin de respecter un équilibre financier précaire.
De plus, l’année 2023 a confirmé les risques qui continuent de peser sur lesdites données :
57 % des responsables des données et de l’analyse ont une confiance totale dans leurs données. Les départements opérationnels, tels que le marketing, les ventes et les services, sont encore plus sceptiques, avec une moyenne de 43 % de personnes faisant entièrement confiance à leurs données7
A la source de cette enquête, 65% des responsables informatiques ont subi une violation de la sécurité de leurs données au cours de la période 2021-2022, et 35% ont admis ne pas avoir été en mesure de récupérer les données affectées.
Par conséquent, alors que le volume de données est en constante augmentation, il faut renforcer les mesures de sécurité dans un environnement technique qui devient pourtant plus ouvert, afin de faciliter les échanges avec les clients ou les fournisseurs, tout en développant le télétravail et la mobilité de nos collaborateurs.
En donnant à l’édition 2023 de l’AM Tech Day8 le titre « Reprenez le contrôle de vos données », l’AGEFI ne s’est pas trompée d’enjeu, et a permis à des acteurs comme AMUNDI Technology de montrer les pas de géant franchis par notre industrie sur la personnalisation des allocations clients pour les wealth managers.
Si l’on se concentre sur l’analyse des données, on pourra noter que 2023 a également été un bon crû dans l’émergence de nouveaux calculateurs (consommation carbone) permettant la production de reporting EET9 , conforme à une taxonomie désormais partagée au niveau européen avec la Directive SFDR.
Le développement de nouvelles applications, mobiles ou proposant à l’utilisateur une expérience digitale de nouvelle génération.
Autre domaine d’innovation qui marquera 2023, le développement d’interfaces utilisateur toujours plus agréables, intuitives et dotées de nouvelles fonctions plus riches. A l’occasion de l’AM Tech Day, Stéphanie GAUDOUX10 et les participants à la table ronde qu’elle a animée ont rappelé les efforts nécessaires pour mieux piloter les demandes des clients afin d’améliorer leur satisfaction dans la gestion de leurs données, voire trouver le bon équilibre entre l’autonomie des utilisateurs (le « selfcare ») et la gestion personnalisée de la relation client, avec l’appui des fournisseurs de services Titres.
Nous pouvons noter cette année que la tendance visant à proposer des modèles de relations multicanales s’est imposée dans les métiers du B2B après l’épisode COVID. Cela passe par la digitalisation des contrats et des documents, par les outils d’automatisation et de suivi de processus et de dossiers (KYC, on-boarding de fonds) mais aussi par la généralisation des vidéo-conférences, aussi bien en interne qu’avec les partenaires externes, notamment à l’international, réduisant d’autant la présence physique dans les réunions et les voyages professionnels, coûteux et chronophages. Mais cette tendance ne se traduit pas par un recours systématique au digital. Au contraire, la présence à ses côtés d’un expert ou d’un conseiller, et la capacité à se réunir à des moments clés de la relation client, restent des marqueurs forts de notre industrie.
Outre le recours nécessaire à l’automatisation de tâches répétitives, les mots-clés relevés tout au long de l’année resteront donc : optimisation des parcours clients, personnalisation de la relation, mesure de la satisfaction et amélioration de l’expérience client. La transformation digitale de nos métiers est et reste donc un invariant, imposant une approche plus sélective des recrutements et de la gestion de nos collaborateurs, passant par de nouvelles formations techniques tout autant que comportementales.
La Blockchain peine à s’imposer dans le secteur financier, même si de nouvelles réglementations et quelques belles innovations marquent une tendance de fond.
Lorsque nous nous remémorons nos années d’étude, la question des produits « dilemmes » revient régulièrement à l’esprit. S’il fallait retenir une image de la Blockchain en 2023, ce serait certainement le mot qui reviendrait dans tous les esprits. Est-ce le résultat d’une promotion trop rapide d’une technologie qui s’avère complexe à maîtriser, sont-ce les effets du « crypto-winter» qui a suivi les scandales comme FTX aux Etats-Unis, ou est-ce la difficulté à embarquer l’ensemble des secteurs de notre industrie ?
Très concrètement, malgré les belles performances des crypto-monnaies, malgré un cadre réglementaire qui s’harmonise en Europe avec l’adoption du règlement MICA11 en avril 2023, malgré le lancement d’un stablecoin adossé à l’Euro par SG Forge, premier établissement à être agréé PSAN12 en France sur les actifs numériques13, et en dépit de volumes croissants d’échanges de parts d’OPC (Organismes de Placement Collectif) et de tenue de registre sur IZNES14, l’année 2023 ne restera pas celle de l’avènement de la Finance Décentralisée (DeFi) face à la Finance Traditionnelle (TradFi).
Force est de constater que le lancement d’un fonds dit « crypto » reste un processus long, nécessitant un dispositif impliquant de multiples acteurs, la validation d’un régulateur qui devra en comprendre le fonctionnement pour protéger les investisseurs. En outre, la répartition des rôles devra être claire entre les plates-fromes d’échange, les prestataires techniques, garants de la détention des clés numériques (et donc des actifs), et les acteurs bancaires, chargés de la tenue de registre, du contrôle dépositaire, voire du rôle d’agent de transfert pour sécuriser les échanges financiers entre le monde réel et les actifs digitaux.
Et c’est pour avoir oublié quelques règles de fonctionnement que des acteurs comme BINANCE se sont vu imposer de lourdes sanctions aux US15.
Il est désormais certain que le marché de la Blockchain et des actifs numériques ne pourra croître qu’en s’appuyant sur des mécanismes clairs et transparents, avec des acteurs exempts de tout reproche, et vigilants quant à la protection des avoirs des émetteurs et des investisseurs. Du point de vue réglementaire, MICA va faciliter le passporting des PSAN en Europe, et nous pouvons anticiper que les accords de la SEC (US Securities and Exchange Commission) sur les fonds ETF16 Bitcoin de Blackrock au comptant devraient survenir en janvier 2024 et ouvrir la voie à d’autres ETF s’appuyant sur la blockchain publique Ethereum ; c’est le cas d’Invesco, de Bitwise et de Valkyrie. Bien que des ETF Bitcoin Futures aient déjà été acceptés dans le passé, cette nouvelle marche franchie peut être le signal qu’attendent les investisseurs américains pour dynamiser un marché resté éteint outre-Atlantique en 2023. C’est l’analyse partagée par Fidelity & VanEck17 qui comptent bien saisir cette opportunité en proposant des ETF Bitcoin Spot en 2024 (demandes déposées en novembre 2023 auprès de la SEC).
En Europe, nous devrions assister en 2024 aux premières exceptions encadrées par le Regime Pilote18, qui va ouvrir la voie à un basculement des paiements entre des comptes ouverts en banque centrale et des règlements effectués en monnaie émise directement sur la Blockchain. Ce régime ouvre, sous certaines conditions, l’accès à des produits financiers tokenisés (actions, obligations et parts de fonds). Ce régime va également instaurer de nouveaux rôles sur les infrastructures de marché, nécessitant des agréements spécifiques pour être plate-forme de négociation, ou acteurs dans le règlement et la livraison des titres digitaux (contre monnaie FIAT).
En accompagnant ces transformations et en favorisant l’ouverture des données des clients financiers, l’AMF a travaillé en 2023 sur un cadre européen pour l’Open Finance19, proche de ce que l’on a connu il y a quelques années dans le domaine des Paiements. Ce sera sans nul doute un sujet à suivre en 2024, car il s’agit d’une base législative possible pour le développement de la finance numérique en Europe.
De quoi nous assurer encore une année riche en rebondissements !
Yvan Mirochnikoff,
Responsable des Solutions Digitales, Société Générale Securities Services
1 ESG se réfère aux critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance
2 RPA : Robotic Process Automation
3 Extrait du rapport “State of Data & Analytics” de Salesforce, 2023.
4 SFDR: Sustainable Finance Disclosure Regulation (societegenerale.com)
5 Lire l’article L’utilisation des nouvelles technologies pour faciliter la collecte de données, en particulier ESG sur les Private Markets (societegenerale.com)
6 Outre les proxy advisors, on peut citer : Clarity AI ; Greenscope, Sustainalytics, MSCI, Impak, Manaos
7 Extrait du rapport “State of Data & Analytics” de Salesforce, 2023.
8 Voir http://amtechday.evenements.agefi.fr
9 European ESG Template
10 Directrice commerciale Europe continentale – Société Générale Securities Services
11 Markets in Crypto-Assets – voir article de l’AMF
12 Prestataire de Services en Actifs numériques
13 Voir l’article de La Tribune sur l’agrément de SG Forge
14 IZNES : plateforme pan-européenne d’investissement de parts d’OPC et de tenue de registre en Blockchain compatible avec l’intégralité des canaux de distribution.
15 BINANCE a accepté de payer en novembre 2023 une amende de 4,3 milliards de USD aux autorités américaines et son fondateur, Changpenp Zhao, a dû démissionner après avoir enfreint les règles anti-blanchiment
16 Exchange Traded Funds
17 FBTC | Fidelity et ETF Crypto | investir en actifs numériques | VanEck
18 Voir article de la Banque de France sur le Régime Pilote
19 Voir proposition FiDA (Financial Data Access) de la Commission Européenne, publiée le 28 juin 2023