Du franc CFA vers l’ECO, une réforme pour une convergence des économies ouest-africaines
Le 22 mai 2020, le projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale française pour la création d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest fait suite à l’accord de coopération monétaire signé le 21 décembre 2019 entre la France et les Etats membres de l’UEMOA1 (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine). Cet accord visait notamment à réformer et à moderniser le fonctionnement de la zone franc UEMOA, tout en prenant en compte les critiques formulées contre le franc CFA, contesté.
Ce projet couvre l’Afrique de l’Ouest où la zone CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) compte 15 membres1 dont six appartiennent à la Zone Monétaire Ouest-Africaine (ZMAO), huit appartiennent à l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), et le Cap-Vert qui n’est membre d’aucune de ces deux organisations.
Ce projet de loi comporte 3 points principaux* :
La fin de l’obligation de dépôt de la moitié des réserves de change de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) auprès du Trésor français, offrant ainsi la liberté à la BCEAO de placer ses réserves de change là où elle le souhaitera ;
La suppression de la représentation française au sein des instances dirigeantes de la BCEAO ;
Une fusion des zones UEMOA et ZMAO pour une monnaie unique.
En attendant la mise en œuvre de ce projet, où en est le franc CFA ?
Le franc CFA semble peu adapté aux économies africaines pour cinq raisons :
Absence de dynamique de commerce intrarégional. Près de 75 ans après sa création, les pays de la zone franc continuent d'échanger très peu entre eux, à hauteur de 15% en Afrique de l'Ouest, alors que dans la zone euro, le commerce intrarégional est supérieur à 60%2.
Le franc CFA freine la compétitivité des produits africains en agissant comme une taxe sur les exportations et une subvention pour les importations. Les pays qui ont l’impression d’avoir une monnaie forte (ici le CFA) ont tendance à importer plutôt que de produire (par exemple, le riz est majoritairement importé de Chine). Cela donne naissance à des balances commerciales souvent déficitaires3.
Dans la zone franc CFA les financements sont plus onéreux ; en effet, les taux d’intérêt pour les crédits restent particulièrement élevés et atteignent parfois les 15%, réduisant les volumes de crédits accordés aux entreprises et aux ménages4.
Les banques centrales ont aujourd’hui pour seul objectif de contenir l’inflation et non de favoriser la croissance et la création d’emplois, ralentissant ainsi le développement économique5.
La parité fixe avec l'euro possède des avantages et des inconvénients : elle garantit une bonne efficacité des politiques budgétaires, mais rend théoriquement inopérante la politique monétaire. Elle favorise les liens économiques entre les pays africains et la zone euro. Elle peut toutefois être problématique en cas d'appréciation de l'euro vis-à-vis des autres monnaies6.
Face à ce bilan du franc CFA, quelles sont les avantages de la nouvelle devise, « l’ECO » ?
Il faut commencer par préciser que la monnaie n’est pas un facteur de production. Les modèles économiques standards établissent qu’elle est neutre - elle n’est pas susceptible de stimuler la croissance économique à long terme. Cette dernière dépend des progrès technologiques et de la croissance des facteurs de production, comme le travail ou le capital.
Les principales caractéristiques de l’ECO sont les suivantes7 :
Premièrement, l’idée est de faire de l’ECO une monnaie qui soit au service d’un développement transformationnel pour éviter l'exportation des matières sans aucune transformation sur place.
En outre, les réserves de change seront centralisées avec une implication des populations.
Enfin, la monnaie commune sera adossée à un panier de devises que sont l’euro, le dollar américain, le yuan et la livre sterling
M. Diakaridja KONE, Responsable du département Analyse et Recherche au cabinet Joseph & Daniel Advisory, commente : « Nous estimons que la réforme de la devise régionale s’avère nécessaire dans le cadre du développement du marché financier de l’UEMOA. En effet, l’ECO devrait favoriser sur notre marché l’arrivée de nouveaux investisseurs sous régionaux (hors UEMOA) qui ne seront plus soumis au risque de change. En conséquence, la reforme impacterait positivement sur la profondeur du marché financier pour ce qui concerne les émissions obligataires des Etats mais aussi sur la liquidité globale des valeurs cotées ».
Quelles conséquences pour les pays de l’UEMOA ?
Il ne devrait pas y avoir de conséquences majeures à court terme sur la stabilité monétaire de l’UEMOA. En effet, la parité fixe à l’euro, ainsi que sa garantie de convertibilité, seront toujours assurées par la Banque de France à brève échéance*.
Le maintien de la parité fixe avec l’euro présente des avantages8:
Elle permet aux exportateurs et importateurs des deux zones de se prémunir du risque de change. Ce qui devrait favoriser les flux financiers et commerciaux.
Une garantie de convertibilité illimitée accordée par la France constitue également un facteur rassurant pour les investisseurs quant à la sécurité de leurs investissements et profits face au risque de crise de change.
Un ancrage à l’euro permet d’assurer une bonne stabilité des prix.
A terme, on retrouvera avec l’ECO les mêmes avantages et inconvénients que le franc CFA. Les défenseurs de l’ECO mettent en avant un risque faible de crise de change et une inflation modérée. En effet, l’UEMOA continuera de jouir des avantages d’être associé à une monnaie dite « forte », l’euro, ce qui rend les importations relativement moins coûteuses. Le pouvoir d’achat des consommateurs des pays de l’UEMOA bénéficie de ce système.
A l’opposé, les opposants à ce système de parité fixe à l’euro insisteront sur le fait qu’il prive les pays de l’UEMOA de leur souveraineté monétaire et en particulier de l’instrument de la dévaluation compétitive. Arrimés à l’Euro, il n’est plus possible d’abaisser la valeur externe de leur monnaie, afin de stimuler les exportations et de réduire les importations, ce qui permettrait pourtant d’encourager la production locale.
M. Diakaridja KONE partage cette inquiétude : « De notre point de vue, la question de la flexibilité de la monnaie semble nécessaire car si la parité fixe XOF/EUR permet aujourd’hui de contenir le taux d’inflation dans la zone UEMOA, l’adoption d’un système de change flexible avec l’ECO devrait stimuler la transformation industrielle et les économies des Etats de la zone grâce à la politique monétaire que la flexibilité de la monnaie devrait permettre d’avoir ».
Certains économistes avancent qu’à long terme, cette réforme du franc CFA pourrait aussi retarder la mise en œuvre du projet d’intégration monétaire entre les 15 pays de la CEDEAO. Ce projet vise à doter les pays de la CEDEAO d’une monnaie unique afin de faciliter les échanges commerciaux et l’intégration économique de la région, objectif non atteint à ce jour par le franc CFA, comme évoqué plus haut.
Marie-Antoinette Nzebo, Directrice de Société Générale Securities Services (SGSS) Côte d’Ivoire, ajoute que l’ECO pourrait ne pas être la solution à tous les problèmes rencontrés par le franc CFA, mais qu’il est révélateur d’une tendance à long terme vers l’internationalisation des marchés financiers ouest-africains. Si les 2 dernières années ont montré une relative prudence des investisseurs internationaux dans la sous-région9, cela ne devrait pas remettre en cause le flux croissant des capitaux étrangers en Afrique de l’Ouest sur le long terme et SGSS Cote d’Ivoire se positionne comme le custodian de référence des investisseurs internationaux.10
Jean-François Marchand, Country Relationship Manager Africa, Société Générale Securities Services
*https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2986_projet-loi
1https://ecowas.int/?page_id=690&lang=fr
2https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/CI/commerce-exterieur-de-l-uemoa-en-2018#:~:text=Les%20%C3%A9changes%20intra%2DUEMOA%20en,%C3%A0%20un%20rythme%20plus%20soutenu.
3ecdpm.acc.vpsearch.nl/wp-content/uploads/Commerce-Riz-Developpement-Filiere-Riz-Afrique-Ouest-Document-Reflexion-283-Octobre-2020-ECDPM.pdf
4https://afrimag.net/uemoa-taux-dinteret-provoquent-creent-grogne-generalisee/
5https://www.bceao.int/fr/content/missions-de-la-bceao#:~:text=Missions%20de%20la%20BCEAO&text=promouvoir%20le%20bon%20fonctionnement%20et,Etats%20membres%20de%20l'UMOA.
6https://www.agenceecofin.com/finance/1904-96770-la-valeur-de-leuro-a-recule-de-14-en-12-mois-les-implications-pour-les-pays-de-la-zone-cfa
7https://www.republicoftogo.com/content/download/77790/1949850/1#:~:text=%C2%AB%20Premi%C3%A8rement%2C%20l'id%C3%A9e%20est,aillent%20chacun%20de%20son%20c%C3%B4t%C3%A9
8http://www.bsi-economics.org/1284-passage-du-fcfa-a-l%EF%BF%BDeco-quelles-perspectives-note
9https://www.lejecos.com/Investissements-directs-etrangers-dans-l-Uemoa-Un-repli-de-130-enregistre-en-2020-pour-s-etablir-a-20690-milliards_a21842.html#:~:text=Investissements%20directs%20%C3%A9trangers%20dans%20l,%C3%A9tablir%20%C3%A0%202069%2C0%20milliards
10 https://www.securities-services.societegenerale.com/fr/espace-presse/presse/news/brvm-recompense-societe-generale-cote-ivoire-meilleure-banque-teneur-compte-conservateur/