Finance verte : réglementation des acteurs des marchés financiers
En novembre 2019, la Commission européenne publiait le règlement (UE) 2019/2088 sur la diffusion d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers.
L’ensemble des acteurs des marchés financiers sont concernés par ce règlement. Néanmoins, les OPCVM et FIA qui ne souhaitent pas s’y plier pour continuer à proposer des investissements non éligibles à la taxonomie verte doivent alors clairement l’indiquer sur leur documentation (site internet, rapports financiers annuels, les prospectus et autres documents commerciaux). Si les secteurs d’investissement dits « marron », en voie de transition vers le vert comme l’acier, le ciment, le nucléaire, le gaz et les secteurs dits « rouges », comme le charbon ou le diesel sont retenus dans leur stratégie d’investissement, ils doivent alors y être mentionnés.
Les entreprises qui, elles, font le choix de créer et distribuer des produits verts, doivent expliquer également leur stratégie d’investissement durable et justifier le risque durable. Il ne suffit pas de mentionner les secteurs éligibles à la finance verte comme l’éolien par exemple. Elles doivent également tenir compte du risque de contrepartie et classer les actifs financiers par secteur économique et type d’investissement. Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont ainsi à justifier.
Des données nécessaires pour une qualification ESG
La « durabilité » d’un produit d’investissement nécessite un effort concentré sur ces trois notions à respecter de façon équilibrée. Le respect de l’environnement, le plus facile à mesurer, ne doit pas primer sur le respect des aspects sociaux ou de gouvernance.
De façon à qualifier de « durable » un produit d’investissement, une somme importante de données est à collecter. Nous assistons actuellement à une course effrénée aux data, pour tenter d’obtenir les informations nécessaires à la qualification ESG d’un produit.
Les fournisseurs de données s’appuyant sur les indices les plus connus à ce jour, comme MSCI, travaillent d’arrache-pied pour couvrir dans leurs bases les critères verts demandés par la taxonomie. Malheureusement, compiler les données est une chose, savoir les exploiter en est une autre.
De ces données doivent ressortir les informations requises par les articles 3 à 11 du règlement (UE) 2019/2088 (modifié par le règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020), portant sur la transparence en matière de durabilité.
Les acteurs sont-ils prêts ?
Certains acteurs déjà actifs dans le secteur de l’Investissement Socialement Responsable (ISR) et proposant à leurs clients des produits respectueux de l’écologie ont une petite longueur d’avance. Leurs produits sont estampillés « ISR », mais cela est-il suffisant ?
Le marché financier ne dispose pas de données fiables permettant de confirmer que l’actif ou le produit respecte l’ensemble des trois critères ESG. Parmi eux, le critère environnemental est souvent le plus facile à respecter et à vérifier. Pour les deux autres critères, c’est plus compliqué.
En effet, le critère social est difficile à évaluer dans la mesure où la plupart des indices ne fournissent pas la garantie que l’entreprise d’investissement respecte, par exemple, la diversité ou la parité homme-femme. Autres exemples, ces indices ne garantissent pas non plus que l’entreprise n’a pas recours au travail des enfants.
Bien souvent, le seul moyen de contrôle est de se rendre sur place et auditer les entreprises pour vérifier le respect de ce critère social. Il s’agit là d’un challenge onéreux, dans les pays émergents notamment, lorsque les données ou la transparence font défaut.
Les acteurs chargés de contrôler les produits financiers qu’ils proposent vont devoir investir en technologies et/ou ressources humaines pour vérifier le respect des critères ESG. La route risque d’être encore longue et coûteuse pour obtenir ces éléments probants.
Quelles solutions pour la mise en place de ces informations ?
Une plateforme internationale sur la finance durable (IPSF) a été fondée en octobre 2019. Ses membres sont des autorités publiques d'Argentine, du Canada, du Chili, de Chine, d'Inde, d'Indonésie, du Kenya, du Maroc, de Nouvelle-Zélande, de Norvège, du Sénégal, de Singapour, de Suisse et de l’Union Européenne (UE), représentant près de la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Son premier rapport, publié en octobre dernier, indique que de plus en plus de juridictions développent des standards et labels « durables ». L’IPSF compte superviser la création de ces standards et envisage la formation d’un groupe de travail dédié à leur monitoring.
La diffusion d’information environnementale s’améliore : une majorité des pays membres de la plateforme a déjà établi un encadrement permettant un minimum de transparence. Cependant, le manque d’homogénéité dans la qualité et de points de comparaison des informations à destination des investisseurs est encore flagrant. L’IPSF va donc lancer un groupe de travail dédié à l’harmonisation de ces normes.
Le rapport couvre également l’évolution en matière de finance durable. Il souligne que le but de l’IPSF n’est pas de recommander des outils en matière de finance durable, mais seulement de mettre en évidence les différences entre les outils et initiatives lancées par les Etats membres. L’IPSF espère que ceci encouragera une convergence des normes proposées par les pouvoirs nationaux. Les trois outils principaux envisagés sont la taxonomie, les standards et labels, et la transparence.
Les challenges de la Commission et de sa réglementation verte
La réglementation mise en place par la Commission Européenne vise à encourager la finance durable. Elle vise également à aider les investisseurs internationaux à identifier les investissements qui répondent réellement aux objectifs environnementaux de sauvegarde de la planète.
Même si la taxonomie, avec le règlement (UE) 2020/852, crée un système de classification pour que les investisseurs puissent mieux reconnaître les produits « durables », il manque une définition universelle des investissements verts.
Le respect du règlement (UE) 2019/2088 nécessite lui aussi que les gérants d’actifs et les producteurs/vendeurs de produits financiers puissent répondre aux besoins des investisseurs de façon claire, d’où ce besoin de définition universelle.
Et le Luxembourg ?
Au sein de l’UE, le Luxembourg reste leader de la domiciliation, de la distribution et des services prestés aux fonds d’investissement1. Ce secteur croît et continuera de croître avec la volonté d’augmenter l’investissement responsable et durable. Cette longue tradition de gestion d’actifs fait que le Luxembourg capte une grande partie des capitaux européens des OPC (près de 40% des actifs nets OPCVM et plus de 25% des actifs nets des OPC (OPCVM + FIA)) au sein de l’Union Européenne. Ceci, auxquels s’ajoutent plus de 300 produits labellisés à ce jour par l’association LuxFlag et quelque 225 OPC2 auxquels le label ESG a été attribué, ne pourra que conforter le Luxembourg comme étant une plate-forme européenne de la finance verte et durable.
Pour progresser encore, il est nécessaire que le pays puisse légitiment imposer ses labels à travers l’organisme LuxFlag. Ils seront alors gage de qualité des OPC répondant au cahier des charges, comme des autres produits financiers, notamment les green bonds. La légitimation des labels LuxFlag pourrait se faire plus rapidement si, comme d’autres labels européens, ils obtenaient une certification européenne garantissant que leurs critères d’analyse sont en conformité avec les règlements européens. Le Luxembourg a déjà réussi à exporter ses labels LuxFlag dans dix pays de l’UE. Il s’agit là d’un gage de crédibilité et représente des opportunités pour l’ensemble de l’industrie financière luxembourgeoise.
Prochaine étape
La taxonomie en est à peine à son commencement mais présente déjà un fort potentiel. Elle fait l’objet de nombreuses publications, études, analyses ainsi que d’enquêtes visant à mieux comprendre et vendre la finance verte.
Nombre de précisions font malheureusement encore défaut pour guider au mieux les acteurs des marchés financiers et les encourager à proposer plus de produits verts.
Concernant le règlement (UE) 2019/2088, la Commission Européenne ne publiera pas les normes techniques réglementaires dites « mesures de niveau II », attendues pour cet automne. Ainsi, pour se mettre en conformité avec ce règlement, les gérants d’actifs et autres acteurs des marchés financiers devront interpréter le règlement au mieux, pour le 10 mars 2021, date à laquelle la plupart des mesures de niveau I seront applicables.
Notons que travailler trop rapidement sur la production d’informations sans une standardisation des processus d’évaluation et/ou d’autres méthodologies pour l’investissement durable et sa gestion du risque peut se révéler être une perte de temps et d’énergie. Une multitude d’interprétations est envisageable et ne facilite ni la supervision ni les contrôles de conformité. Sans parler de l’absence de données fiables et de méthodologies éprouvées, reconnues et uniformes pour évaluer les critères qui restent à ce jour très disparates.