Passer outre l’hypermédiatisation : une évaluation réaliste de la durabilité
Pour citer Winston Churchill, « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l'opportunité dans chaque difficulté. » J'étais résolument dans la catégorie des optimistes. À chaque problème, sa solution. Un problème avec le système ? Changeons-le de l'intérieur ! Mais qu'est-ce qui a été réalisé jusqu'à présent en matière de développement durable ? Je deviens progressivement pessimiste, et voici pourquoi.
Tout d'abord, prenez le changement climatique. Malgré les efforts déployés pour adopter des technologies plus propres pour produire de l'énergie, et malgré une pandémie mondiale qui a entraîné une baisse des émissions mondiales de CO2 pendant un an, celles-ci sont revenues aux niveaux pré-Covid. L'intensité carbone de nos économies a diminué, mais les émissions continuent d'augmenter du fait de la croissance économique.
Comme le constate le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publié l'année dernière : « Nous ne sommes pas sur la bonne voie pour limiter le réchauffement climatique, malgré les outils et le savoir-faire dont nous disposons.1 Avec le bon leadership, le monde peut éviter un changement climatique dangereux. »
Ce leadership a quelque peu manqué au sommet sur le climat de la COP27 fin 2022. Le sommet a remporté quelques victoires, notamment la création d'un fonds pour les pays en développement afin de financer leur décarbonation, mais il a été globalement décevant. Les politiques climatiques restent insuffisantes. Si tous les plans du sommet aboutissent, nous nous dirigeons vers un réchauffement climatique de 2,5 °C. Mais puisque les plans n'ont pas été respectés jusqu'à présent, pourquoi le seraient-ils maintenant ?
ODD : un tableau mitigé
Au-delà du changement climatique, si l’on s’intéresse à un ensemble plus large d'objectifs de développement durable (ODD) à travers le prisme des ODD des Nations Unies, le tableau est mitigé. Allant de l'éradication de la pauvreté et des inégalités à la construction d'infrastructures pour un avenir durable, les 17 objectifs ont été définis en 2015 et sont censés être atteints d'ici 2030.
À mi-chemin, nous sommes encore loin de les avoir atteints, d’autant que les progrès ont en fait diminué pendant la pandémie. Les avancées réalisées depuis 2015 ont été trop lentes et aucun pays n'est en bonne voie pour atteindre les objectifs d'ici 2030. 2
Le problème particulièrement inquiétant aujourd'hui est l'évolution négative des ODD axés sur l'environnement. Si nous ne nous attaquons pas au changement climatique et ne mettons pas fin à la perte de biodiversité, comme l'exigent trois des objectifs, il est peu probable que nous parvenions à atteindre les autres ODD, dans la mesure où tous les systèmes sociaux dépendent de l'environnement naturel.
Et il y a des contradictions entre les objectifs. Par exemple, il sera difficile d'atteindre l'ODD 2 (éliminer la faim et garantir l'accès à des aliments sains et nutritifs tout au long de l'année) en même temps que l'ODD 15. En effet, cet objectif vise à assurer la conservation, la restauration et l'exploitation durable des forêts, des zones humides et des terres sèches, ce qui n'est pas compatible avec l'augmentation des cultures.
Les coûts externes doivent être mieux évalués
Alors, devons-nous perdre espoir ? Ces dernières années, le secteur financier a pris conscience de l'importance de la « durabilité » et s'est efforcé d'intégrer dans les portefeuilles des facteurs ESG importants sur le plan financier, afin de prendre des décisions d'investissement plus éclairées. Cette tendance est aujourd'hui répandue et très positive.
Elle pose toutefois deux problèmes. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) mentionne dans son rapport que le risque climatique reste sous-évalué sur les marchés financiers, et cela vaut également pour d'autres externalités ESG telles que la perte de biodiversité, les conditions de travail précaires, la faiblesse de la gouvernance et les mauvaises relations communautaires.
Cela pourrait être résolu par une meilleure réglementation mondiale, qui attribuerait un prix à ces problèmes et veillerait à ce que les investisseurs et les entreprises internalisent ces coûts externes. Si ce n'est pas le cas, l'intégration ESG continuera de contribuer à de meilleures décisions d'investissement, mais elle ne profitera pas directement au développement durable.
Passer à l'investissement à impact
Actuellement, la communauté des investisseurs tente de trouver un moyen d'aller au-delà de l'intégration ESG standard et de passer à l'investissement à impact, en créant des structures capables de financer les milliards de dollars d'investissements nécessaires. Un début de solution a été trouvé à la COP27, avec la création d'un fonds de pertes et dommages par les pays les plus riches, mais ce fonds n’est pas encore opérationnel.
Les obligations vertes, sociales et liées au développement durable sont également de bons instruments pour que les grands investisseurs aient un impact sur le terrain. Si cela semble prometteur, seule une très petite partie du total des actifs sous gestion finance directement des projets (d’entreprises) qui contribuent au développement durable, donc nous sommes encore loin du but.
Mon verre est encore à moitié plein
J'apprécie parfois de laisser mon pessimisme de côté, et il est vrai qu’en tant qu'investisseurs, entreprises et gouvernements, nous nous efforçons de construire les outils capables de rendre nos pratiques mondiales plus durables. Il est temps maintenant de commencer à allouer nos ressources et de nous concentrer sur la construction de ces outils, et de nous détacher des campagnes, des rhétoriques rassurantes et de la création d'objectifs inatteignables. Alors que la COP27 nous a laissés sur une trajectoire de réchauffement climatique de 2,5 °C, il y a cinq ans, cette trajectoire était de 4 °C.
Donc, pour finir sur une autre citation de Churchill : « Pour ma part, je suis optimiste, il ne me semble pas très utile d'être autre chose. »
Masja Zandbergen, Head of Sustainability Integration, Robeco