CSDR : Vers un report d’un an du futur régime de disciplines de dénouement ?
La nouvelle réglementation sur les Central Securities Depositories (CSDs) n’en finit pas de faire parler d’elle. Après l’alerte lancée début 2020 par 14 associations professionnelles dans une lettre à la Commission Européenne (cf notre article du 5 mars 2020), il semble finalement que la date prévue de mise en œuvre du régime de disciplines de dénouement puisse être repoussée d’un an. Notre experte Sylvie Bonduelle, Chargée de Relations de Place Stratégie et Infrastructures de Marché chez SGSS, répond à nos questions.
Sylvie, certains CSDs ont annoncé un probable décalage d’un an des disciplines de dénouement imposées par CSDR et envisagées, pour l’instant, pour le 1er février 2021. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Effectivement, le groupe Euroclear a créé la surprise en étant le premier, via ses CSDs, à officialiser la rumeur qui couvait depuis quelques temps. Initialement prévues pour le 14 septembre 2020 avant d’être décalées de presque 6 mois, les disciplines de dénouement pourraient finalement n’entrer en vigueur qu’au 1er février 2022.
Cette annonce vient d’être confortée (ce mardi 28 juillet) par un communiqué de l’ESMA1 dans lequel le régulateur européen indique travailler, à la demande de la Commission, sur un report au 1er février 20222.
Rappelons malgré tout qu’une telle décision devra, pour être effective, suivre un processus législatif bien précis : être adoptée par la Commission européenne puis ne pas faire l’objet d’une objection de la part du Parlement ou du Conseil et ainsi pouvoir être publiée au Journal Officiel de l’Union.
Vous avez raison d’appeler à une certaine prudence ; mais cela reste une bonne nouvelle, non ?
Sans aucun doute !
Déjà pour le volet « pénalités ». Cette année supplémentaire, si elle est entérinée par les législateurs, permettrait à l’industrie de finaliser sereinement la mise en œuvre du nouveau régime. Car si la majeure partie des développements (mécanisme de calcul, nouveaux messages Swift, allocation des pénalités, …) sera prête pour l’échéance de 2021, il reste des questions en attente de réponse, mais aussi des cas particuliers nécessitant encore une analyse poussée. Par exemple : faut-il allouer les pénalités au gérant d’actifs ou au fond et dans un tel cas comment cela se traduirait il au regard des exigences MIF2 / PRIIPSs de publication ex-post des coûts et charges ? Comment traiter opérationnellement une pénalité impliquant une CCP3 (l’information sera échangée entre le CSD et son participant mais le flux financier interviendra entre la CCP et son adhérent compensateur) ? Le régime dédié aux marchés de croissance s’appliquera t‘il bien à tous les dénouements relatifs à une transaction exécutée sur un tel marché ? Quel sera le sort des suspens déjà présents à l’entrée en vigueur du nouveau régime ?
Le délai supplémentaire serait également le bienvenu en ce qui concerne les exigences relatives à la phase d’allocation / confirmation. Leur mise en œuvre fait toujours l’objet d’échanges avec les fournisseurs de plates-formes.
Mais il est vrai que la note d’espoir concerne en priorité la partie « rachat obligatoire ». En effet, au-delà de sa complexité opérationnelle, ce sont les modalités d’application de cette mesure qui posent question et rendent difficile son instauration :
Les acteurs soumis à cette obligation n’ont pas de réelle expérience du rachat (aujourd’hui essentiellement un processus géré par les CCPs et donc limité au monde de la compensation). Le négociateur pour les transactions négociées et non compensées ou l’acheteur pour ses transactions non intermédiées devront trouver un agent de rachat, (« buy-in agent »), déterminer la quantité à racheter, savoir quelle contrepartie racheter …
L’obligation s’applique unitairement or l’on sait bien qu’un dénouement n’est pas isolé mais fait souvent partie d’une chaîne complexe d’opérations associée par les règles d’optimisation de l’algorithme de dénouement. Un simple manque de titres peut entraîner plusieurs suspens de dénouement et donc autant de rachats, pour la plupart inutiles. Prenons un exemple : j’ai acheté et revendu des titres le même jour. Je ne les reçois pas donc ne peux les livrer. Je vais devoir déclencher un rachat à l’encontre de mon vendeur tout en me faisant racheter par mon acheteur !
Le régime de pénalités intègre ces « chaînes » (la pénalité est reversée au participant non défaillant). Il est regrettable que rien de tel n’ait été imaginé pour les rachats.
Vous parlez d’une note d’espoir … jusqu’où peut-on espérer ?
A minima, ce report d’un an pourra permettre à l’ESMA4 et à la Commission européenne de répondre aux très nombreuses questions (pas moins de 30 aujourd’hui) soulevées par les associations5 et ainsi permettre à ces dernières de progresser dans l’établissement de pratiques standardisées.
Parmi les grands thèmes on peut évoquer :
La mise en place d’un mécanisme qui permettrait de limiter (à défaut d’éviter) les rachats inutiles et cela dans le respect de la réglementation,
L’obtention d’une exemption pour certaines transactions, notamment celles qui ne correspondent pas à une vraie transaction, comme par exemple les transferts de portefeuille (dans un tel cas le propriétaire des titres devrait déclencher un rachat à son encontre) ou pour lesquelles il existe d’autres mécanismes (comme la « Buyer protection » pour les opérations sur titres).
Pour autant, même avec des réponses allant dans le sens souhaité par l’industrie, la complexité et les impacts négatifs induits par ce rachat obligatoire perdureront.
Le fait que la réglementation CSDR (qui date de 2014) entre cette année dans son processus de révision pourrait être l’occasion de revoir en profondeur le régime de disciplines de dénouement.
Certes l’objectif de la réglementation (à défaut du 100% de dénouement en bonne date dont rêve tout régulateur) resterait de mettre au plus vite un terme à des suspens de règlement / livraison.
Mais là où CSDR1 considère l’obligation de rachat comme la seule réponse possible, sa révision dans le cadre de CSDR2 pourrait conduire à l’élaboration de solutions adaptées au contexte, moins radicales et pourtant tout aussi efficaces.
Liens utiles :
03/07/2020 : Podcast CSDR : préparez-vous
05/03/2020 : Article CSDR : le futur régime de disciplines de dénouement
1 European Securities and Markets Authority
2 https://www.esma.europa.eu/press-news/esma-news/esma-preparing-new-rts-further-postpone-csdr-settlement-discipline
3 CCP : chambre de compensation
4 European Securities and Markets Authority
5 https://www.esma.europa.eu/press-news/esma-news/esma-starts-publishing-questions-received-through-its-qa-process