Blockchain : derrière le bruit, la révolution silencieuse ?
Derrière les titres de journaux élogieux ou acerbes, des termes techniques et beaucoup de bruit, se cache une révolution encore très mal comprise du grand public.
Introduite en 2008, par des idéologistes prônant un capitalisme libertaire où la propriété privée n’a pas de limite et où tout peut être échangé ou détenu, la blockchain s’est imposée progressivement, dérivant parfois de cette vision originelle et trouvant souvent un écho dans des cas d’usage inattendus.
La technologie, qui a servi à alimenter de nombreux « proofs of concept » déceptifs en 2017-2018, a beaucoup évolué et s’est enrichie de nouvelles fonctionnalités. Besoin d’une rapidité d’exécution ? Solana s’approche des performances de Visa. Besoin d’échanger en restant anonyme ? Les Zero-Knowledge Proof (ZKP)1 rollups vous permettront d’échanger des données de manière confidentielle. Des frais trop élevés ? Un Layer 22 comme Polygon résoudra le problème. On compte aujourd’hui une centaine de « Layer 1 » servant de base à plus de 18 750 crypto actifs qui s’échangent chaque jour. Toute proportion gardée et qualité des projets mis à part, en moins de trois ans, la blockchain a permis la cotation de plus de projets qu’Euronext depuis sa création.
Votre Blockchain est-elle irréprochable ?
Les dessous de cette révolution ne sont cependant pas toujours honorables. Si la technologie a évolué, ses considérations écologiques aussi. Même si le Bitcoin conserve toujours un consensus par preuve de travail (PoW)3, Ethereum a amorcé sa transition vers la preuve d’enjeu (PoS)4, presque aussi sécurisée mais infiniment moins énergivore. Ainsi, on estime que le Bitcoin consomme l’équivalent de plusieurs réacteurs nucléaires, mais qu’une technologie PoS comme Tezos ne consomme l’équivalent que de 17 foyers pour une proposition de valeur supérieure (smart contracts élaborés, gouvernance on-chain, etc.) À l’image des industries traditionnelles, les blockchains et les mineurs amorcent également leur transition du charbon chinois vers de l’énergie décarbonée ou la valorisation d’énergie fatale. Avant-gardistes, les mineurs partagent la même structure de coût que les stations de production d’hydrogène (énergie électrique décarbonée ou fatale, à un coût le plus faible possible). De la même manière, les protocoles PoW se font plus rares ou amorcent, à l’image d’Ethereum, leur transition.
Quel est le statut d'adoption de cette technologie ?
Cette évolution de la technologie a été soutenue par une communauté de développeurs toujours grandissante. Une méta-analyse menée sur la plateforme de partage de code GitHub permet d’estimer le nombre de développeurs blockchain en 2021 a plus de 105 000 personnes (+63% par rapport à 2020). Les profils sont donc rares mais toujours plus nombreux. Cette communauté, soutenue par un afflux massif d’argent, a permis à la technologie d’aller vite. Très vite. Si bien que suivre la blockchain requiert de réaliser une veille méticuleuse qui fait la part belle aux « influenceurs crypto ».
Où est la révolution ?
Même si Bitcoin permet de faire des smart contracts simplifiés, c’est Ethereum qui a introduit un environnement dit « turing complet »5. S’en est suivi le développement des DApp (decentralized application)6 et l’apparition des premiers DEX (decentralized exchange)7.
Grâce à ces DEX il est aujourd’hui plus facile d’acheter un crypto actif qu’une action Peugeot. Si l’on parle chiffres, les frais de cotation sur un DEX d’un actif sont compris entre 5 et 200 euros (selon le réseau) et l’accès aux données de marché est gratuit si l’on héberge soi-même un nœud, ou à moins de 50 euros par mois si l’on passe par un node provider8 comme Exanode.
À l’image de SpaceX qui a divisé les coûts d’accès à l’espace par cinq, rendant viables économiquement des projets comme Starlink, la DeFi9 et les DEX sont en train de bouleverser le statu quo. Si bien que la cotation des PME et des actifs de fonds de private equity sont envisagés. Des startups proposent déjà de digitaliser la tenue de compte et d’émettre directement des titres sur la blockchain. D’autres avancent la possibilité de rendre liquide ce qui aujourd’hui ne l’est pas comme des actifs détenus par des fonds de private equity. La blockchain, grâce à ses standards et sa robustesse, devient un outil « clé en main » de cotation et d’échange d’actifs.
Quel impact pour la banque ?
En poussant la logique et la philosophie à son extrême, les nouveaux banquiers d’affaires seront les conseillers en ICO10, les chambres de compensation la blockchain, les marchés organisés des DEX, les interfaces comme Bloomberg des node providers.
La blockchain continue son inlassable avancée, la régulation jouant à la fois avec et contre elle. Si l’écosystème est florissant, la consolidation, elle, est indéniable, mais derrière des projets de Non Fungible Token (NFT) ou des ICO au projet contestable, il y aura toujours cette technologie qui changera profondément notre manière d’appréhender les échanges de biens… et par extension notre monnaie.
Vivien Sayve, Head of Finance & Strategy, Exaion
1 Zero-Knowledge Proof : la “ZKP” est une méthode utilisée en cryptographie, qui permet de prouver à une contrepartie qu’une affirmation (en principe mathématique) est vraie sans avoir à donner de preuve ou d’explication supplémentaire de sa vérité. Il permet notamment d’anonymiser une partie des informations.
2Layer 1 ou Layer 2 : Les Layer (1 ou 2) sont des concepts de base des architectures de type « blockchain » ; une blockchain de type « Layer 1 » n’a pas besoin d’une infrastructure ou d’un réseau supplémentaire pour valider ou finaliser une transaction. Un protocole de niveau « Layer 2 » aura besoin d’un réseau de type « Layer 1 » pour gérer sa sécurité et permettre l’établissement d’un consensus pour valider une transaction.
3La “preuve de travail”, est l’algorithme de consensus de base dans un réseau Blockchain. Il est d’ailleurs à noter que c’est le premier des différents consensus à avoir été utilisé pour la création de crypto-monnaie, comme le Bitcoin. Pour valider une opération ou une transaction inscrite dans une blockchain, et confirmer les transactions, afin de produire de nouveaux blocs dans la chaîne, les participants (les « mineurs ») sont mis en concurrence pour résoudre une équation, et par la suite être récompensés par l’attribution de la crypto-monnaie ainsi créée. La preuve de travail nécessitera l’utilisation de plusieurs processus de calcul (des algorithmes), rendant cette méthode très énergivore.
4Proof-of-Stake (PoS) : a contrario, la preuve d'enjeu demande à l'utilisateur de prouver la possession d'une certaine quantité de crypto-monnaie (leur « participation » dans la crypto-monnaie) pour prétendre à pouvoir valider des blocs supplémentaires dans la chaîne de blocs et de pouvoir toucher la récompense, s'il y en a une, à l'addition de ces blocs.
5Environnement « Turing-complet » : Un environnement dit « turing-complet» est un environnement informatique qui peut réaliser des opérations algorithmique de base et exécuter du code informatique. Concrètement, un environnement turing-complet permet de rédiger du code informatique et de l’exécuter quel que soit ce code.
6 Decentralized Application (DApp) : Une application décentralisée, ou « DApp » est une application développée suivant les standards des protocoles à consensus distribués, (Bitcoin, Ethereum,..). Ces applications sont déployées sur des blockchains et partagées au travers de larges réseaux pairs à pairs mondiaux. Elles sont transparentes dans leur fonctionnement, robustes et surtout impossibles à arrêter ou censurer, ce qui permet de supprimer les intermédiaires nécessaires à une mise en relation de 2 acteurs.
7Decentralized Exchange (DEX) : Un système d’échanges décentralisé (DEx) fonctionne afin que toutes ses opérations soient réalisées directement sur une blockchain. Le DEX fonctionne sur la base de contrats dits « intelligents » (ou « smart contracts »), qui contiennent toutes les informations utiles pour réaliser la transaction (dont les liquidités).
8 Node provider : fournisseur d’un nœud, c’est-à-dire donnant accès à une copie lisible de la totalité du registre blockchain. Les node provider sont des facilitateurs, qui hébergent une copie du registre et le rende facilement accessible à des tiers (traders, Application Web, etc.). Ils sont le cœur « infrastructurelle » de la blockchain en parallèle des mineurs qui se chargent d’ajouter les blocs.
9 Decentralized Finance (DeFi) : La DeFi est une technologie financière émergente basée sur des livres distribués sécurisés. Ce système élimine ainsi le contrôle que les intermédiaires (banques et institutions financières) peuvent avoir sur l’argent, les produits financiers et les services financiers associés.
10 Initial Coin Offering (ICO) : il s’agit d’une méthode de levée de fonds, fonctionnant via l’émission d’actifs numériques échangeables (en général contre des cryptomonnaies) durant la phase de démarrage d’un projet. Ces objets seront appelés « jetons » et peuvent couvrir plusieurs natures d’actifs et auront comme objectif de devenir aisément échangés, améliorant ainsi la liquidité de l’actif.