Biodiversité : un enjeu stratégique
Après la lutte contre le réchauffement climatique, la finance se découvre un nouveau défi de taille avec la préservation de la biodiversité.
Espèces disparues ou menacées, écosystèmes terrestres en danger, océans fragilisés par la pollution, la détérioration de la biodiversité au niveau mondial représente un défi considérable à relever pour l’humanité. Désormais connue sous le nom de sixième extinction de masse, le déclin alarmant de la biodiversité représente l’une des principales menaces à laquelle le monde doit faire face, selon le World Economic Forum (WEF).
La dernière édition du rapport « Planète vivante » publié en octobre 2022 par le WWF1 indique que depuis 1970, la population des espèces vertébrées sauvages a diminué de près de 70%. A l’instar des rapports du GIEC2 sur le climat, la plateforme intergouvernementale IPBES3 sur la biodiversité tire également la sonnette d’alarme. Parmi les facteurs principaux responsables de la dégradation de nos écosystèmes, nous retrouvons les changements d’utilisation des terres et des mers, l’exploitation directe des espèces, le changement climatique, la pollution et les espèces invasives.
Un sujet multidimensionnel aux répercussions sanitaires, sociales et économiques
La crise de la biodiversité est conjointe à la crise climatique. Au-delà de l’intérêt pour les espèces et les écosystèmes, il s’agit de services écosystémiques, intégrant un prisme de régulation du climat. Nos écosystèmes jouent un rôle central dans l’absorption du carbone. Les océans et les écosystèmes terrestres absorbent, en effet, près de la moitié du CO2 émis globalement. En récupérant ce CO2, ils contribuent directement à atténuer le réchauffement de la planète. Ils nous protègent également contre l’impact des tempêtes, des inondations etc.
La dégradation de la nature induit des répercussions sanitaires et sociales. La pérennité des modèles économiques et du système financier est elle aussi menacée. Il y a des conséquences directes sur les activités des entreprises et inévitablement sur leurs revenus. On estime que 5 à 8% de la production agricole mondiale actuelle, représentant une valeur marchande annuelle de 235 à 577 milliards de dollars US, est directement attribuable à la pollinisation animale*.
Les Accords de Paris version biodiversité
La COP 15 sur la biodiversité, qui s’est tenue du 7 au 19 décembre 2022, à Montréal, était très attendue après des annulations successives dues au Covid. L’ambition politique était de reproduire pour la biodiversité l’effet mobilisateur de la COP 21 qui avait débouché sur l’Accord de Paris.
196 pays se sont réunis autour de cette objectif commun et, après plusieurs mois de négociations intenses, ont adopté un accord que l’on peut considérer comme historique. Cet accord définit un cap clair et fixe des objectifs quantifiés et mesurables pour permettre de réduire significativement la perte de la biodiversité. Parmi les objectifs phares adoptés figure celui de protéger jusqu’à 30% des terres et 30% des mers d’ici 2030. D’autres engagements forts ont également été pris : réduire de moitié les pesticides et les excès de nitrates, restaurer de 30% les écosystèmes terrestres et maritimes dégradés d’ici 2030, diviser par deux l’introduction d’espèces exotiques envahissantes, mettre un terme à l’extinction des espèces protégées dues aux activités humaines d’ici 2050, éliminer les subventions néfastes à la biodiversité à hauteur de 500 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour cesser de soutenir les activités qui ont des impacts sur la nature. Afin que tous les pays puissent mettre en œuvre ces objectifs, le cadre fixe aussi la cible de mobiliser 30 milliards de dollars d’ici 2030 depuis les pays les plus riches vers les pays en développement.
Le cadre réglementaire progresse et encourage les investisseurs à agir
La directive CSRD4, dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er janvier 2024, va constituer un progrès important, grâce à l’harmonisation des données extra-financières publiées par les entreprises européennes. Pour améliorer leur compréhension des enjeux, les investisseurs sont aussi incités à se tourner vers des fournisseurs d’informations différents, souvent plus expérimentés, plus spécialisés sur les questions de biodiversité que les agences de notation extra-financière traditionnelles. Les ONG (Organisations Non-Gouvernementales) font partie de ces nouveaux partenaires potentiels.
Si les difficultés demeurent pour harmoniser les données disponibles et définir des objectifs cohérents au niveau international, l’intérêt des investisseurs pour la thématique de la biodiversité est encouragé, au niveau européen, par la réglementation SFDR5. L’enjeu est de rendre l’information plus lisible pour les clients afin que ces derniers soient davantage incités à financer des émetteurs plus respectueux du climat et de la biodiversité.
En France, la préservation de la biodiversité n’est pas oubliée dans la loi énergie-climat. Ainsi, l’article 29 de la Loi énergie-climat, qui pose de nouvelles exigences en matière de reporting extra-financier pour les investisseurs, stipule bien que les risques liés à la biodiversité doivent être pris en compte et que les stratégies d’investissement doivent être alignées avec les objectifs de long terme relatifs à la biodiversité.
La Commission européenne devrait être en mesure de donner aux investisseurs les règles à suivre concernant les « critères techniques d’alignement » de quatre objectifs environnementaux : l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et le contrôle de la pollution et enfin la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes. Cette avancée permettra à toutes les parties prenantes (entreprises et investisseurs) de disposer des mêmes références et de parler le même langage sur la biodiversité.
Ces progrès réglementaires, qu’ils s’inscrivent à l’échelle nationale ou européenne, associés à une prise de conscience plus grande du public et des épargnants pour ces questions, doivent maintenant se traduire concrètement en actes d’investissement.
Un vivier d’opportunités
Notre rôle, en tant qu’investisseur, est d’évaluer comment ces critères de respect de la biodiversité sont réellement intégrés par les entreprises. Cela passe d’abord par l’exclusion des entreprises à impact négatif, dont l’activité contribue directement à dégrader les écosystèmes marins et/ou terrestres. Ensuite, investir pour préserver la biodiversité consiste à choisir des entreprises qui proposent des solutions contribuant à réduire la pollution, à améliorer la qualité de l’eau ou à réduire la production de déchets, notamment par la prévention et le recyclage. Nous avons aujourd’hui une assez bonne cartographie des impacts et dépendances des activités et des secteurs. C’est pourquoi il demeure essentiel de comprendre fondamentalement les activités des entreprises et leurs sensibilités vis-à-vis de la biodiversité.
Le combat contre la perte en biodiversité représente un vivier d’opportunités, au sein duquel de nouvelles solutions et technologies émergent. Selon le WEF, les investissements relatifs à la biodiversité représentent un marché potentiel valorisé à 10 trillions de dollars par an, et près de 395 millions d’emplois à horizon 2030.
Les entreprises positionnées sur ce terrain constituent de réelles opportunités d’investissement, même si le gisement peut sembler plus limité que pour le climat. On retrouve ces entreprises sur toutes les zones géographiques. Tourné vers l’océan, le Japon compte ainsi plusieurs sociétés spécialisées dans la protection de l’écosystème marin. Riche d’une faune et d’une flore exceptionnelles et menacées, l’Australie se distingue également avec ses entreprises dédiées à l’économie circulaire. En Europe et aux Etats-Unis, on trouve davantage de sociétés tournées vers la lutte contre la pollution à travers par exemple la préservation des écosystèmes terrestres ou en eau douce. Concrètement, certaines entreprises utilisent des solutions basées sur la nature pour améliorer leurs résultats financiers et d'autres valorisent les actifs naturels et les services écosystémiques pour orienter leurs propres décisions opérationnelles.
A ce titre, nous sommes convaincus que le respect de la biodiversité peut devenir la nouvelle thématique prioritaire des investisseurs engagés.
Emmanuelle Sée, Responsable de la Gestion Actions, Swiss Life Asset Managers France
1 World Wildlife Fund
2Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat
3 Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques
4Corporate Sustainability Reporting Directive
5Sustainable Finance Disclosure Regulation -