AIFMD II : une évolution plus qu’une révolution
Quels sont les principaux changements ou impacts pour l’AIFM ?
Voilà plus de 10 ans que la directive AIFM (UE) 2011/61 est entrée en vigueur. Tous les pays de l’UE avaient jusqu’en juillet 2013 pour transposer cette directive en droit local.
A l’instar de la directive UCITS/OPCVM modifiée à plusieurs reprises pour arriver à UCITS V en 2018, la Commission européenne a souhaité revoir cette directive en particulier pour renforcer la protection des investisseurs.
Le 7 février 2024, le Conseil a adopté la directive qui modifie la directive sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs (AIFMD) et modernise le cadre régissant les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (UCITS) au niveau de l'Union européenne (UE).
Parmi les éléments clés, la directive modificative modernise le cadre régissant les outils de gestion des liquidités, précise un cadre de l'UE pour les fonds qui fournissent des crédits aux entreprises et introduit des règles renforcées applicables à la délégation par les gestionnaires de portefeuille à des tiers. Elle confirme qu’un dépositaire central de titres (CSD) est considéré comme un délégué de la banque dépositaire quand il agit en tant que dépositaire, et elle ne remet pas en cause que le dépositaire doit être situé dans le pays ou le fond est domicilié, même si elle concède une dérogation pour certains Etats.
La directive a été publiée au Journal officiel de l'UE le 26 mars 2024, elle entrera en vigueur vingt jours plus tard. Les États membres auront 24 mois pour la transposer.
Même s’il s’agit d’une évolution plutôt qu’une révolution de la directive AIFM, on relève trois changements notables :
La modernisation du cadre régissant les outils de gestion de liquidités.
L’encadrement des fonds qui fournissent des crédits aux entreprises.
Le renforcement de la gouvernance des AIFM, en particulier sur les sujets de délégation des gérants à des tiers.
1. Outils de gestion de liquidités pour les fonds d'investissement alternatifs (FIA)
Les pratiques de la gestion des liquidités ont mis en lumière que certains FIA utilisaient des outils inadaptés au profil de risque de liquidités ou à la stratégie d’investissement, ou que plus simplement les documents constitutifs du fonds ne prévoyaient pas toujours le recours à ces mécanismes. De ce fait, les pratiques de marché ont été disparates suivant les juridictions, ayant pour conséquence une inégalité des résultats et un traitement différencié des investisseurs.
Afin de pallier ces disparités, AIFMD II met en place un cadre européen visant à permettre aux AIFMs de gérer les problématiques de liquidités et de stress des marchés dans un système cohérent garantissant la protection de l’investisseur. La nouvelle directive harmonise la gestion du risque de liquidité et prévoit que chaque fonds intègre et mette en œuvre des procédures détaillées de gestion de liquidités et des outils (liquidity management tools, LMT).
AIFMD II fournit une liste de LMTs :
Suspension des souscriptions, des rachats et des remboursements
Mesure de plafonnement des remboursements (Gate)
Prolongation des délais de préavis (Notice period)
Frais de remboursement
Ajustement de la valeur liquidative (Swing pricing)
Régime du double prix
Droits d'entrée/de sortie ajustables acquis au fonds (anti-dilution levies, ADL)
Remboursement en nature
Cantonnements d'actifs (side pockets)
Les AIFMs doivent choisir a minima deux mécanismes. de gestion de liquidité dans le document constitutif du FIA à l’exception des fonds monétaires pour lesquels un seul outil est requis. Le choix des outils par le gestionnaire doit être cohérent avec la stratégie d’investissement, le profil de liquidité et la politique de rachats du fonds. Ceci implique de formaliser en détails les politiques et procédures pour activer et désactiver les LMTs, avec les dispositions administratives et opérationnels d’usage.
AIFMD II impose aux gestionnaires de notifier leurs autorités compétentes de l’activation et désactivation de ces LMTs. AIFMD II renforce ainsi les pouvoirs de supervision des autorités nationales.
Les gestionnaires doivent diffuser aux investisseurs les conditions d’activation des LMTs. Une information renforcée est aussi primordiale pour s’assurer que les LMTs puissent fonctionner correctement.
2. L’octroi de prêt par les FIA (fonds originateurs de prêts ou Loan-Originating Funds)
L’octroi de prêt est devenu une source de financement alternatif essentielle pour l’économie réelle, plus particulièrement lorsque les canaux de prêts traditionnels sont moins accessibles. Toutefois, les disparités dans les réglementations nationales sur les opérations de prêt ont abouti à des compétitions déséquilibrées entre les juridictions qui interdisent au système non bancaire de prêter, et les juridictions plus flexibles.
C’est pourquoi AIFMD II établit des règles communes pour l’octroi des prêts, qui couvrent la gestion des conflits d’intérêts, l’encadrement du risque de crédit et la diversification des risques selon le type de fonds (ouvert ou fermé). C’est une autorisation explicite donnée aux gestionnaires de l’UE à s’engager dans l’octroi de prêts.
De nouvelles définitions sont introduites dans AIFMD II, notamment la définition d’un FIA octroyant des prêts. Il est défini comme tel si sa stratégie d'investissement consiste principalement à octroyer des prêts ou si les prêts octroyés représentent au moins 50 % de sa valeur nette d'inventaire.
Un FIA recourant à l'effet de levier est un fonds dont les expositions sont accrues par le gestionnaire par l'emprunt de liquidités ou de valeurs mobilières, par des positions dérivées ou par tout autre moyen.
Cette nouvelle directive encadre les limites d’endettement.
La limite de levier d'un FIA de type ouvert octroyant des prêts ne peut dépasser 175 %, et celle des FIA de type fermé 300 %. Ce ratio est calculé sur la base de l’exposition du fonds, divisée par la valeur liquidative, selon la méthodologie de l’engagement.
Elle fixe des limites d’exposition et de diversification à 20% lorsque la contrepartie est un FIA, un OPCVM ou un établissement financier.
Enfin les fonds sont tenus de conserver a minima 5% de la valeur notionnelle des prêts émis. Tous les revenus des prêts doivent revenir au fonds. Les coûts relatifs à l’administration du prêt doivent être communiqués aux investisseurs.
La société de gestion doit formaliser des politiques et des procédures pour autoriser les prêts. Celles-ci doivent être rédigées pour correctement évaluer et contrôler le risque de crédit et sont sujettes à une revue périodique.
3. Gouvernance et substance minimale des gestionnaires.
La nouvelle directive renforce la gouvernance du gestionnaire, en s’alignant sur les pratiques de l’industrie et les changements réglementaires intervenus après le Brexit. Elle renforce les obligations de « substances minimales » des gestionnaires d’actifs.
Les nouvelles règles précisent que la conduite de l'activité de la société de gestion doit être assurée par au moins deux personnes physiques, soit employées à plein temps, soit des membres exécutifs ou des membres de l'organe de gestion de la société de gestion domiciliés dans l'Union.
Concernant les accords de délégation, AIFMD II renforce l’actuel cadre réglementaire. En effet le gestionnaire doit être en mesure de motiver l’ensemble de sa structure de délégation aux autorités compétentes avant que les dispositions de la délégation ne prennent effet, ainsi l’ensemble des ressources humaines et techniques appropriées pour contrôler le délégataire doivent être détaillées. La société de gestion doit être en mesure de donner à tout moment des instructions complémentaires à ses délégataires et de leur retirer le mandat avec effet immédiat lorsque cela va dans le sens de l'intérêt des investisseurs et des clients. Ceci implique une minutieuse supervision et un contrôle afin d’assurer une gouvernance et une compliance efficaces.
Enfin notons les obligations de reporting prudentiel vers les autorités compétentes seront renforcées, a l’instar des déclarations sur les délégations. A cet effet l’ESMA élaborera des projets de RTS (normes techniques de réglementation) précisant le détail et standard des informations à déclarer remplaçant ainsi les déclarations actuelles des gestionnaires.